Anne Plantagenet, Disparition inquiétante d'une femme de 56 ans
Elle a quitté la clinique où elle était hospitalisée et s’est évanouie dans la nature. Un an auparavant, elle avait voulu se suicider dans l’usine où elle travaillait à la chaîne depuis trente-six ans.
Un appel à témoins est lancé, mais les jours passent et rien, le désert. Une anonyme, une ouvrière.
Elle s’appelait Letizia Storti. Je l’ai un peu connue.
Ce livre tente de lui redonner un visage et un nom.
Letizia Storti aurait pu rester une anonyme. Mais sa route a croisé un jour celle de Stéphane Brizé, réalisateur du film « En guerre », dans lequel elle a pu obtenir un rôle de figurante correspondant en tout point à celle qu’elle était dans la « vraie vie », une ouvrière engagée, syndiquée FO chez UPSA où elle a travaillé pendant 37 ans. C’est sur le tournage du film qu’Anne Plantagenet a rencontré pour la première fois Letizia Storti et elle l’a revue chez elle quelques mois plus tard pour l’interviewer. À cette occasion, la romancière a pu découvrir la femme derrière la travailleuse, sa simplicité, son humilité. Les deux femmes sont ensuite restées en contact, s’envoyant régulièrement puis plus ponctuellement des messages pour prendre des nouvelles, liées entre autres par leur origine italienne, et ce, jusqu’au 4 juin 2022 où Anne apprend par Stéphane Brizé la disparition de Letizia. Elle cherche alors à comprendre ce qu’il a pu se passer au cours des derniers mois et elle découvre le terrible engrenage dans lequel cette dernière s’est retrouvée : une chute malheureuse, la pression psychologique grandissante, une tentative de suicide sur son lieu de travail… Pour ne pas laisser Letizia tomber dans l’oubli, Anne décide d’écrire son histoire.
Le titre, Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, qui reprend les mots utilisés par la presse régionale lors de la disparition de Letizia, est l’élément qui a le plus suscité ma curiosité. Je me rends compte à quel point il est intelligent car il dit le fait divers et l’anonymat, ce que veut justement éviter Anne Plantagenet en dressant le portrait de cette femme forte et militante que fut Letizia Storti. Le récit est court et se dévore. On est très vite happé par l’histoire de Letizia, son parcours, ses combats, sa solitude aussi. Il y a quelque chose de très journalistique dans la manière de raconter mais aussi de très empathique, comme s’il y avait une urgence à ne rien omettre de la vie de Letizia, à être factuel, à dater, tout en racontant avec sensibilité et émotion les moments de joie puis la descente aux enfers. La force de ce récit est qu’il dit, sans concession et par l’exemple, la réalité du monde du travail dans ce qu’il a de plus odieux et de plus inhumain : dégradation des conditions de travail, communication difficile voire impossible avec les supérieurs et les responsables des ressources humaines, poste inadapté malgré une reconnaissance de « travailleur handicapé »… Ce livre est un très bel hommage.
Je remercie chaleureusement Babelio et les Éditions du Seuil pour cette découverte.
L’œuvre en quelques mots…
« Sa disparition semble le point d’orgue d’une existence passée à lutter contre l’effacement. » (p.138)