Abdelkader Djemaï, Mokhtar et le figuier

Publié le par calypso

 

« Un matin, comme si elle voulait lui présenter un membre de la famille qui lui était cher et que Mokhtar ne connaissait pas, Aïchouche le prit par la main et l'emmena au pied du figuier qu'elle aimait, lui dit-elle, pour sa bonté et sa générosité. Avec les yeux encore vierges et étonnés de la petite enfance, Mokhtar vit d'abord le tronc, tellement plus haut et plus vieux que lui. Il était aussi plus robuste que son grand-père et n'avait pas besoin de s'appuyer sur un bâton en bois d'olivier. Malgré son âge, ses cicatrices et les traces de sève qui ressemblaient à du sang blanc coagulé, il était solidement planté sur le sol en terre battue où cheminaient, au milieu des feuilles mortes et des brindilles d'herbes, des fourmis. En regardant les fourmis, Mokhtar imagina que les racines descendues du tronc se mettaient elles aussi à marcher, à courir sous la maison avant de se disperser et de se perdre dans le grand ventre de la terre qu'il croyait brûlant comme le four en boue séchée d'Aïchouche. »

 

Déjà, parlons de la couverture qui est magnifique. Les couleurs, le graphisme, la superposition de ces figues que l’on s’imagine comme autant de petites madeleines de Proust. Et il y a en effet quelque chose de l’ordre du souvenir et de la nostalgie dans ce court roman d’une centaine de pages. Abdelkader Djemaï nous parle d’un enfant qui s’appelle Mokhtar et qui grandit dans l’Algérie des années 50. L’auteur est lui-même originaire d’Oran et est né en 1948. Je n’irai pas chercher plus loin des traces autobiographiques dans cette œuvre de fiction – même si les derniers paragraphes peuvent nous inciter à le faire –, mais j’ai été frappée, je dois le dire, par une impression très forte de sincérité. Dans une langue à la fois simple et poétique, le narrateur nous raconte l’enfance de Mokhtar à la campagne, évoque les coutumes familiales et se focalise sur l’infiniment petit et l’infiniment précieux : un chemin caillouteux, les lampes à pétrole, les osselets, les remèdes de sa mère Aïchouche et le figuier, bien sûr. Témoin imperturbable des événements, abritant sous sa terre les souvenirs sacrés de la famille, il est le symbole d’un enracinement profond qui perdurera même quand Mokhtar et les siens partiront pour la grande ville. Vraiment, c’est un roman très touchant que je suis contente d’avoir lu.

 

 

L’œuvre en quelques mots…

 

« Quand le beau temps fut revenu, elle confia à Mokhtar un secret. A sa grande Surprise, elle lui chuchota à l’oreille que la veille, en ouvrant son armoire, des abeilles s’étaient envolées dans les couleurs du crépuscule qui étaient entrées dans sa chambre Puis, comme des papillons, elles s’étaient mises à voleter au-dessus de sa tête, à se poser sur ses épaules étroites et sur la paume de ses mains brunes et noueuses avant de danser joyeusement autour d’elle.

Elle ajouta d’une voix émue qu’au moment de repartir, aériennes et lumineuses, elles lui souhaitèrent une longue et heureuse vie parmi sa famille. Mokhtar l’avait écoutée, émerveillé et définitivement convaincu de son pouvoir de magie. » (p.43)

 

« Tout le long du trajet, en découvrant de nouveaux villages, d’autres édifices, Mokhtar ressentit peu à peu une sorte d’ivresse l’envahir. Ce matin-là, il était, entre ciel et terre, en train de vivre un exaltant voyage, celui qui l’emmenait pour longtemps dans un monde qu’il ne connaissait pas. » (p.53)

 

« Il avait alors, comme les oiseaux et les insectes qui l’entouraient depuis son enfance, commencé à cueillir des brindilles de mots, des graines d’images et des grains de sons d’une langue qui n’était pas celle de sa mère. Une langue devenue son nid d’écriture. » (p.125)

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