Ernst Israël Bornstein, La Longue Nuit

Publié le par calypso

 

Le récit d’Ernst Bornstein est l’histoire glaçante et miraculeuse de sa survie. Rédigé à la fin des années 1950, édité seulement en 1967 en Allemagne, il devient une référence incontournable de la littérature sur la Shoah, en tant que l’un des tout premiers témoignages de l’horreur concentrationnaire.

Entre ses 19 et ses 22 ans, Ernst traverse sept camps. Grünheide, Markstadt, Fünfteichen, Grossrosen, Flossenbürg, Leonberg et Mühldorf : autant de lieux aujourd’hui méconnus, hier théâtres de la barbarie nazie. Dans cette longue nuit, les camps se succèdent, et avec eux l’horreur et la mort. Entre intelligence et courage, désir de vivre et générosité, Ernst se débrouille grâce à son habileté à dégoter de la nourriture et sa capacité à satisfaire les demandes des Kapos – et parfois des SS. Il croise ici et là des visages familiers devenus méconnaissables. En rapportant systématiquement leur nom et leur histoire, il arrache leur destin aux griffes de l’oubli.

Bornstein voulait écrire l’histoire fidèlement, d’abord pour rendre hommage à la mémoire des victimes, ensuite pour contrecarrer un négationnisme qui, à la fin des années 1950, commençait déjà à poindre. Aujourd’hui, face à la disparition progressive des survivants, son témoignage, enfin traduit en français, paraît plus nécessaire que jamais.

 

La Longue Nuit est un récit autobiographique rédigé en yiddish à la fin des années 1950 par Ernst Israël Bornstein. Traduite une première fois en allemand en 1967, il faudra attendre 2022 pour que cette œuvre soit enfin disponible en français. Et quelle œuvre ! Il s’agit incontestablement d’un roman indispensable pour comprendre à la fois l’absolue absurdité et la mécanique bien huilée de l’univers concentrationnaire et pour en saisir toute l’horreur. Il est particulièrement intéressant car il donne à voir le parcours complet d’un homme victime de la barbarie hitlérienne. Le premier chapitre s’ouvre sur une date, le 1er septembre 1939, marquant le début de la guerre entre l’Allemagne et la Pologne, tandis que le dernier chapitre se clôt sur la mention du 30 avril 1945, date à laquelle Ernst Israël Bornstein écrit avoir été définitivement libéré. Entre ces deux dates, l’enfer vécu, de sa ville natale devenue ghetto, à la succession des camps dans lesquels il sera envoyé – sept au total –, pour finir sur l’interminable « marche de la mort » que d’autres, comme Simone Veil, ont également relatée, l’objectif étant de ne laisser aucun prisonnier vivant dans les camps. L’univers concentrationnaire et son fonctionnement sont décrits avec une minutie incroyable et saisissante. Le passage sur l’évacuation des camps est exceptionnel de réalisme et de cruauté. La volonté de vivre, malgré l’effroyable quotidien qui ne peut qu’être synonyme de désespoir, envahit toute l’œuvre, jusqu’aux derniers mots du texte qui, eux, abordent avec beaucoup de pudeur l’infinie solitude de ceux qui sont revenus et ont eu à porter deux fardeaux : le souvenir immuable de cette tragédie et la suffocante résignation de ne pouvoir être compris.

 

Je remercie infiniment Babelio et les Éditions Hermann pour cette lecture !

 

 

L’œuvre en quelques mots…

 

« Ce soir-là j’avais très faim et j’avais terminé mon assiette. Mon père, qui se tenait à côté de moi, avait à peine touché la sienne et la glissa devant moi. Je refusai d’abord sa portion mais il me força à manger. Avec son expression bienveillante et paternelle, il m’encouragea à ne pas perdre espoir, car le but premier des Nazis était de détruire nos âmes. Il me tira vers lui et m’exhorta passionnément à me battre pour ma vie. Ce présent apparemment inexorable finirait par laisser place à un futur plein de nouvelles perspectives. » (p.39)

 

« Mes pensées et mes sentiments se rebellaient tout entiers contre l’idée que notre peuple était destiné à souffrir afin de remplir une certaine mission – une mission que je ne comprenais pas. Je refusais de laisser ma foi m’obliger à endurer souffrances, conspirations et tourments comme autant de tributs divins. Je ne pouvais pas prier ; je ne voulais pas prier. Les journées qui suivirent furent remplies du travail et de la monotonie de la vie du camp. » (p.58)

 

« Ma solitude et mon désespoir pesaient lourd sur mon esprit. Je craignais ne bientôt plus pouvoir supporter la pression physique et mentale, mais mon désir de vivre était plus grand que ma faiblesse. » (p.77)

 

« De nombreux détenus et moi-même étions encore animés du désir de vivre. Même aujourd’hui, cette mystérieuse volonté me paraît toujours impossible à croire et à analyser. Notre esprit de résistance nous permettait de survivre dans un camp de concentration où la brutalité et la torture insensées nous entouraient en permanence, et où des êtres humains sombraient et mouraient impuissants, dans l’avilissement le plus total. Un instinct inexplicable nous permettait de percevoir le danger à distance et nous conditionnait à rester vigilants jour et nuit, à attendre patiemment le matin et à ne jamais abandonner. » (p.130)

 

« Les premiers soubresauts de la joie se transformèrent peu à peu en déception. Aucun nid chaleureux ne nous attendait ; aucune main aidante, apaisante et réconfortante ne fut tendue pour panser nos blessures. Nos plaies encore fraîches continuaient de saigner et de nous torturer au moindre contact. Lentement nos espoirs disparurent – ceux-là mêmes qui nous avaient portés pendant si longtemps dans les camps de concentration – et laissèrent place à l’amertume et la résignation. Il n’était que trop évident que le monde libre ne nous comprenait pas. » (p.263)

 

« Le 30 avril 1945 notre liberté nous fut rendue, mais encore aujourd’hui, vingt et un ans plus tard à l’heure où j’écris ces mémoires, le choc psychologique des camps de concentration reste entier ; j’en suis toujours prisonnier. » (p.264)

Publié dans Littérature yiddish

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