Toni Jordan, Tu pourrais rater intégralement ta vie
Grace Lisa Vanderburg a 35 ans. Elle compte. Tout. Tout le temps. Les lettres de son nom (19). Les pas qui la mènent au café (920). Les poils de sa brosse à dents (1768). Les graines de pavot sur sa tranche de gâteau. Autant de chiffres qui ordonnent son existence réglée comme du papier à musique. Quand entre en scène Seamus Joseph O'Reilly (un autre 19), un bel étranger qui n'a pas peur de ses manies, un dilemme ne tarde pas à s'imposer à elle: les chiffres ou la vie ? Pour préserver leur fragile idylle, l'excentrique Grace est-elle prête à perdre le fil de ses additions ? Comédie romantique, réflexion sur la normalité, ce premier roman pétillant offre l'irrésistible portrait d'une héroïne vulnérable et vraie.
Ce roman n’a que deux défauts : les illustrations sur la couverture que je ne trouve vraiment pas terribles et le titre ! Après une recherche rapide, j’ai appris que le titre anglais est « Addition »… On aurait franchement pu trouver mieux que « Tu pourrais rater intégralement ta vie », non ? Heureusement, on sait bien qu’il ne faut pas s’arrêter à un titre et à une couverture ! Et franchement, quelle surprise que ce premier roman ! Je l’ai dévoré ! C’est une comédie romantique, mais ce n’est pas cucul la praline ! Et si vous croyez avoir tout lu sur les histoires d’amour, vous vous trompez, car celle-ci commence d’une façon très particulière… Imaginez : vous êtes à la caisse du supermarché et vous vous rendez-compte que vous avez pris seulement 9 bananes. 9 malheureuses bananes. Pas 10, 9. Pour vous rien d’anormal, mais pour Grace ? Que faire ? Aller chercher la banane n°10 en rayon ? ou subtiliser celle qui est posée dans le panier de l’homme situé juste derrière vous ? Voici le dilemme de Grace…
Mais reprenons du début : Grace est une jeune femme qui souffre depuis très longtemps d’une maladie qui règle sa vie comme du papier à musique. Il lui faut tout compter. Elle n’en souffre pas, c’est quelque chose qui est devenu si naturel qu’elle est perdue si elle ne peut pas se livrer à son « addiction ». Quand elle arrive dans son café préféré et qu’elle ne trouve aucune table libre, c’est la panique : « Ma tête s’affole, prie pour voir une table se libérer. Si je ne peux pas m’asseoir, je ne pourrai pas commander mon gâteau et mon chocolat, et si je ne commande pas mon gâteau je ne pourrai pas compter les graines de pavot et je ne saurai pas combien prendre de bouchées, et si je ne mange pas mon gâteau, je ne le finirai pas et alors comment saurai-je quand rentrer chez moi ? Je suis perdue, je n’ai plus rien à m’inciter à rentrer chez moi. Je suis perdue et le vent me souffle dessus et je pourrais échouer n’importe. Je commence à avoir des crampes dans le ventre. C’est peut-être le choléra. Bientôt, tout ce qui est en moi s’écroulera. » Franchement, qui n’a jamais compté ? Les marches d’un escalier, les minutes qui nous séparent d’un rendez-vous… mais chez Grace, tout est disséqué et rien ne doit être laissé au hasard. Il n’est pas nécessaire d’être ami avec les chiffres pour lire ce roman, et mais même si on peut avoir le sentiment que tous ses calculs vont devenir lassants au bout de quelques dizaines de pages, il n’en est rien !
C’est frais, c’est drôle, c’est tendre !
C’est frais… parce que le sujet est très original et que le thème de la maladie est traité avec une légèreté qui donne tout son charme au roman.
C’est drôle… oui, vraiment ! Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire à plusieurs reprises et certaines scènes sont particulièrement cocasses !
C’est tendre… parce qu’au-delà de ce côté extravagant, se cache une enfant blessée et traumatisée qui trouvera en la personne de Seamus un confident. Mais les choses ne sont jamais simples. Elle pourrait accepter un peu de changement. Elle pourrait aussi rater intégralement sa vie…
Ce roman est excellent, du début à la fin. En relisant la dernière page et en tapant les quelques mots qui suivent, j’avais presque envie de le relire. Si seulement ma PAL ne criait pas « au secours »… A ce propos, je ferais bien de compter ses occupants, à mon tour…
L’œuvre en quelques mots…
« Je sais maintenant que ma brosse a 1768 poils, mais je doute que quiconque ne travaillant pas dans une usine de brosses à dents le sache. Voici ce que je vais faire. Comme nous sommes vendredi soir, il n’y a pas école, je vais donc me préparer pour aller au lit à 22h30 au lieu de 21h30. A l’avenir, je procèderai ainsi tous les vendredis et samedis soirs. Et même s’il reste 7 jours avant le premier du mois prochain, je m’achèterai 2 nouvelles brosse à dents – une pour aller jusqu’à la fin du mois et une autre pour commencer le mois prochain. Ce changement en cours de mois n’aura lieu que lorsque je compterai les poils de ma brosse. En fait, je vais aller dès maintenant au supermarché pour acheter le plus grand nombre possible de brosses à dents de ce modèle parce que s’ils l’arrêtent et en introduisent un nouveau, je devrai en compter les poils. »
« Seamus tend le bras vers moi pour me prendre mon sac de brosse à dents. Un garçon bien élevé. Chevaleresque. Ses doigts prennent des miens les 2 anses en plastique. Ses doigts ne sont pas les miens. Sont différents des miens, si différents que je suis étonnée qu’il en ait 10 lui aussi. Je remarque la taille de ses mains. Leur couleur. Les poils minuscules et pâles sur les phalanges.
Nous arrivons à l’angle avant que je m’aperçoive que j’ai oublié de compter les pas. »