Lloyd Jones, Mister Pip
Sur une île du Pacifique, Matilda et ses camarades de classe se passionnent pour les aventures vieilles d’un siècle d’un orphelin appelé Pip, dans une ville appelée Londres, qui leur paraît plus réelle que leur propre région à feu et à sang.
Mais, dans une île ravagée par la guerre, l’imagination ne protège pas toujours de la folie des hommes.
Croyez-moi, sous cette très belle couverture, se cache un petit roman passionnant qu’il faut absolument lire…
L’histoire nous est racontée par Matilda, une jeune fille de 13 ans, qui vit sur l’île de Bougainville avec sa mère en attendant de pouvoir rejoindre son père parti tenter sa chance à Townsville. Dans l’ancien presbytère, vivent M. et Mme Watts, un couple qui constitue une réelle attraction pour les gens de l’île, M. Watts ayant en effet l’habitude de promener sa femme dans un chariot. Mais ce n’est pas la seule particularité de l’homme surnommé Bel Œil : il est en effet « le seul blanc à des kilomètres à la ronde ». On pourrait croire l’île en situation de paix, mais il n’en est rien. La guerre a éclaté à cause des rebelles dirigés par Francis Ona au sujet de la grande mine de cuivre de l’île. Des soldats, envoyés par le gouvernement ont débarqué sur l’île. Dans ce climat difficile, les blancs ont tous préféré quitter l’île, à l’exception de M. Watts. Ce dernier est alors chargé de faire la classe aux enfants étant donné qu’il n’y a plus d’instituteurs. L’homme entreprend de leur faire la lecture des Grandes Espérances de Dickens, à raison d’un chapitre par jour. Celui qui attirait les plaisanteries et les rires des insulaires devient peu à peu un objet de fascination, pour Matilda notamment qui se prend de passion pour le roman et s’identifie au jeune Pip…
Mister Pip est un roman fabuleux, empli d’humanité et de sagesse. Tour à tour drôle et touchante, notamment grâce à la présence d’une narratrice très attachante, l’histoire n’en reste pas moins difficile par les faits racontés. Dans la majeure partie du livre, nous découvrons la vie simple des habitants de l’île et assistons aux séances de lecture de M. Watts, à la suite desquelles nous recueillons, avec un plaisir extrême, les réflexions de Matilda, si jeune et déjà bien mûre. Mais la guerre qui agite l’île est là pour briser la paisible harmonie et des scènes de barbarie sans nom émaillent le récit. La littérature s’offre alors, véritable refuge face à la folie des homes, et vient se mêler à la vie-même. C’est l’occasion pour le lecteur de lire de très belles pages sur la littérature et ses pouvoirs, et c’est là, incontestablement, un des grands points forts du roman de Lloyd Jones. Ajoutez à cela l’écriture de l’auteur, envoûtante et sans fioritures et vous obtenez un roman qui concentre, en peu de pages, une forte intensité dramatique.
Lisez-le, je suis certaine que vous ne le regretterez pas !
L’œuvre en quelques mots…
« Rayonnante, Mabel se trémoussa sur sa chaise.
- Quand est-ce qu’on pourra dire qu’on le connaît, M. Dickens ? s’enquit-elle.
M. Watts pressa deux doigts contre son menton.
- C’est une très bonne question, Mabel. En fait, je tends à penser qu’il n’y a pas de réponse, mais je vais quand même essayer de t’en fournir une. Certains d’entre vous connaîtront M. Dickens quand nous aurons fini le livre. Il comporte cinquante-neuf chapitres, et au rythme d’un chapitre par jour, cela prendra donc cinquante-neuf jours.
Voilà qui n’allait pas être facile à expliquer à nos parents. Nous avions rencontré M. Dickens, mais nous ne le connaissions pas encore et ne le connaîtrions pas avant cinquante-huit jours. Nous étions alors le 10 décembre 1991. J’ai fait un rapide calcul : il nous faudrait patienter jusqu’au 6 février 1992.
[…]
Le temps que M. Watts termine le premier chapitre, il me semblait que c’était en fait ce garçon, Pip, qui s’adressait à moi. Ce garçon que je ne pouvais ni voir ni toucher, mais que je découvrais par lecture interposée. J’avais un nouvel ami. » (p.34-35)