Laurence Tardieu, Rêve d'amour
Nous sommes le 21 juillet 2006. Il est vingt heures. Je m'appelle Alice Grangé. J'ai trente ans. Gérard Oury est mort hier. Tout cela est certain. Vérifiable. Le réel. Je marche vers un homme que je ne connais pas. Ça encore, le réel. Cet homme a aimé ma mère. Ma mère a aimé cet homme. Je n'en suis déjà plus sûre. Cet homme va me parler de ma mère. Je ne sais pas. Je vais retrouver quelque chose de ma mère. Je ne sais pas. Les choses les plus importantes sont-elles celles que l'on sait, ou celles que l'on cherche? Je m'appelle Alice Grangé. J'ai trente ans. Je cherche ma mère.
Lorsque le mot « rêve » a été tiré au sort, je n’ai pu que constater qu’aucun titre contenant ce mot ne figurait dans ma PAL. J’ai donc dû choisir un roman et c’est sur Rêve d’amour que mon choix s’est porté, pour deux raisons : le titre, simple et poétique, et l’auteure que je n’avais jusque-là jamais eu l’occasion de découvrir. Bien m’en a pris !
Ce quatrième roman de Laurence Tardieu est l’histoire d’une blessure qui ne se referme pas et d’un deuil qui peine à se faire. C’est l’histoire d’Alice qui a perdu sa mère lorsqu’elle était encore une enfant et qui, depuis, vit avec le souvenir de celle qui, après avoir manqué à sa vie d’enfant et d’adolescente, manque douloureusement à sa vie de jeune femme. Mais le souvenir est désespérément flou, ce qui augmente la souffrance ressentie par Alice : « Ces instants-là, au cours desquels je m’efforçais de retrouver ton visage, ton allure, étaient stériles : rien ne me venait, aucune image. Sauf, à de rares moments, une silhouette bleue, floue, qui avançait vers moi, puis disparaissait. » (p.7) Cette silhouette bleue, comme un bleu au cœur et à l’âme, ce fantôme imprécis et évanescent, hante Alice au quotidien : « Les mères portent leur enfant. J’ai l’impression de porter ma mère : j’ai l’impression qu’elle est là, quelque part, au creux de moi. Ma mère, qui m’a donné la vie. Ma mère, que j’ai perdue, et que je garde en moi. » (p.108) Sa vie défile sans qu’elle-même n’ait le sentiment d’avancer. Son refuge, c’est l’écriture. Mais lorsque son père décède à son tour, elle n’a qu’une obsession : retrouver l’homme que sa mère a aimé, avant de mourir. Savoir qui il est pour savoir qui elle était. Reconstruire le puzzle de ses derniers instants et effleurer, simplement, le bonheur qui a été le sien…
Ce n’est pas l’originalité de l’histoire racontée qui fait la force de ce roman : la perte de la mère et la difficile reconstruction qui s’en suit sont en effet largement évoquées dans la littérature (c’est d’ailleurs un thème que j’affectionne particulièrement parce qu’il donne toujours lieu à de très beaux récits). Ce sont les mots, les phrases, leur mélodie douloureuse. Le style sobre et délicat de l’auteure m’a véritablement émue et donné envie de lire ses autres romans. Une très belle découverte !
L’œuvre en quelques mots…
« Il faudra bien, un jour, que je commence quelque chose, que je cesse de me laisser traverser par des absences, que je vive ma vie, comme me le répète Hannah, mais commencer quoi, vivre quoi ? Je ne sais plus où sont mes désirs, mes désirs sont assiégés par mes absences, j’aimerais, moi aussi, avoir le cœur brûlé d’amour, j’aimerais m’abandonner, j’aimerais me perdre. » (p.10)
« Ecrire, ce n’est pas raconter quelque chose qu’on connaît : écrire, c’est aller à la recherche de ce qu’on ne sait pas. » (p.25)
« Le temps ne sait pas mesurer la vie : on peur vivre longtemps et ne pas s’éprouver vivant. » (p.110)