Jean-Marie Gustave Le Clézio, La ronde et autres faits divers
Onze faits divers, d'une banalité tout apparente. Qu'il s'agisse d'un groupe d'ouvriers misérables passant en fraude la frontière italienne, de deux jeunes filles fugueuses, d'un enfant voleur, d'une femme accouchant seule sur la moquette d'un mobile home, surveillée par son chien-loup au regard de braise, qu'il s'agisse de la fillette broyée par un camion, ou de la fillette violée dans une cave de H.L.M., l'auteur impose aux faits une étrangeté bouleversante. L'incident s'annule au profit du dénominateur commun de toute souffrance humaine qu'articulent l'horreur de la solitude, la répression, l'injustice et, quoi qu'il arrive, le fol et vain espoir de rencontrer, dans l'amour et dans la liberté, une merveilleuse douceur.
Après Lullaby, lu il y a quelques mois, j’ai souhaité retrouver la plume de Le Clézio et mon choix s’est porté sur un recueil de nouvelles, La ronde et autres faits divers, qui trainait sur mes étagères depuis un moment. J’ai terminé la lecture de ce recueil il y a un petit moment déjà mais le temps m’a manqué pour rédiger mon billet. Ce qui est sûr, c’est que j’ai largement préféré cette lecture à Lullaby qui m’avait ennuyée et déçue. Dans ce recueil, chaque histoire est narrée avec beaucoup de talent et même si un sujet vous inspire moins qu’un autre, l’ensemble est troublant de réalisme et de justesse. Le Clézio nous parle de la vie : échecs, revers de fortune, misère, souffrance, illusions déçues, tout y passe… Le recueil se compose de 281 pages au cours desquelles le lecteur est confronté à des « faits divers » qui font de l’auteur un écrivain de son temps, soucieux des autres et du monde qui l’entoure sans jamais toutefois verser dans la commisération.
Parmi ces onze nouvelles, j’ai eu de véritables coups de cœur. « La ronde » est une nouvelle qu’il faut absolument lire. La narration est sans faute et la tension est maintenue jusqu’à la dernière page : le lecteur découvre les éléments essentiels à la compréhension de l’histoire par petites touches, sentant bien que quelque chose d’horrible va se produire… Dans cette nouvelle, l’auteur s’essaie, en outre, à une sorte de poésie urbaine particulièrement efficace. Coup de cœur également pour « Ariane » et « La grande vie ». La première de ces nouvelles aborde un sujet très difficile, le viol d’une jeune fille dans la cave d’un HLM ; la deuxième, plus légère en apparence, retrace l’itinéraire de deux jeunes filles fugueuses, persuadées que tout est plus rose hors de leur rue. Je pourrais également citer « O voleur, voleur, quelle vie est la tienne ? » dont j’apprécie tout particulièrement la narration. A égalité avec « La ronde », c’est la nouvelle intitulée « Le jeu d’Anne » qui m’a le plus marquée. Le sujet abordé est là aussi difficile et raconté à la fois avec distance et délicatesse. Les mots m’ont semblé si justes… C’est une nouvelle « spirale », de celles qui vous entraînent avec le personnage dans sa chute.
Quand elles sont bien écrites, c’est un réel plaisir de lire des nouvelles !
L’œuvre en quelques mots…
« Martine roule devant Titi, elle fonce à travers les rues vides, elle penche tellement son vélomoteur dans les virages que le pédalier racle de sol en envoyant des gerbes d’étincelles. L’ai chaud met des larmes dans ses yeux, appuie sur sa bouche et sur ses narines, et elle doit tourner un peu la tête pour respirer. Titi suit à quelques mètres, ses cheveux rouges tirés par le vent, ivre, elle aussi, de vitesse et de l’odeur des gaz. La ronde les emmène loin à travers la ville, puis les ramène lentement, rue par rue, vers l’arrêt d’autobus où attend la dame au sac noir. C’est le mouvement circulaire qui les enivre aussi, le mouvement qui se fait contre le vide des rues, contre le silence des immeubles blancs, contre la lumière cruelle qui les éblouit. La ronde des vélomoteurs creuse un sillon dans le sol indifférent, creuse un appel, et c’est pour cela aussi, pour combler ce vertige, que roule le long des rues le camion bleu et l’autobus vert, afin que s’achève le cercle. » (« La ronde », p.21-22)