Hayat El Yamani, Rêve d'envol
Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des sites de la rentrée littéraire ! Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération. Pour en savoir plus c'est ici.
« Ce n'est pas ton frère qui est mort, c'est toi ! Et tu prendras sa place dans cette école ! »
Cette phrase inouïe, prononcée par ma mère en pleine détresse, me fit l'effet d'une déflagration. Mon frère venait de mourir noyé, l'équilibre familial de voler en éclats, mais je n'avais pas le temps de m'attarder sur ma peine, il me fallait d'urgence endosser l'identité du disparu, pour ne pas laisser perdre sa solde de gendarme garantie à vie.
En quelques secondes, ma mère avait pensé la chose et me l'avait imposée, la ponctuant sans faillir d'un « c'est pour ton bien ! » Elle qui, d'habitude, se décrivait comme un être faible se révélait soudain dans sa toute-puissance, et moi, je n'ai rien su faire d'autre qu'obéir, donc partir, seul, encombré de deux vies tout en étant déclaré mort.
Hayat El Yamani s'est inspirée d'une histoire vraie pour bâtir son récit, celle d'un jeune homme qui doit prendre la place de son frère décédé. Nous sommes plongé dès les premières pages dans le vif du sujet puisqu'un passage en italique nous expose cette douloureuse histoire d'échange, mal vécue par le personnage principal, Fayçal. Le premier chapitre « Avant » revient sur les quelques jours qui ont précédé le drame. Suivent alors trois chapitres, « La tente », « Le choc », « La lettre », dont les titres ne sont pas sans rappeler l'écriture même de l'auteure : simple et allant à l'essentiel. Ces trois chapitres retracent les circonstances du drame (des préparatifs pour un séjour à la plage) à l'échange d'identité entre les deux frères et s'achèvent par le commencement, à savoir le premier passage en italique dévoilant toute l'incompréhension et la frustration du jeune Fayçal. J'ai beaucoup apprécié cette construction. Le cinquième chapitre relance le récit et, là encore, j'ai beaucoup aimé l'habileté de l'auteure puisqu'il porte un titre qui n'est pas sans rappeler un précédent chapitre : « L'attente », comme si le personnage ne parvenait pas à sortir de sa propre histoire, comme si son destin aurait pu être effacé s'il n'y avait pas eu cette histoire de tente et de mer. La suite du roman nous permet de suivre l'évolution du nouveau Mohammed et d'observer la longue et difficile acceptation de soi quand on a une vingtaine d'années et qu'on livre, chaque jour, un combat identitaire.
Face à cette mère qui lui a donné la vie et la lui a reprise, Fayçal ne parviendra à s'en sortir qu'en redevenant lui-même, et en découvrant son identité auprès d'une autre femme.
Si j'ai beaucoup aimé le début de l'histoire, j'ai toutefois été moins convaincue par la dernière partie du roman. Cela dit, Rêve d'envol est une lecture plutôt agréable.
Un grand merci à Ulike et aux éditions Anne Carrière !
L'oeuvre en quelques mots...
« Anéanti, abasourdi, assommé, je l'écoutai disposer de ma vie, y mettre un terme en quelques phrases pour m'en imposer une qui aurait dû être celle d'un autre, sans même me consulter. Les yeux exorbités, j'ai hurlé à la mort comme un animal blessé mais sans émettre le moindre son, j'ai implosé sans que personne n'entendît le coup de tonnerre qui m'assourdissait.
J'étais seul, et transformé en un sac de cendres aphone. »
L'épigraphe :
« Nul ne peut atteindre l'aube sans passer par le chemin de la nuit. » Khalil Gibran