Fabienne Berthaud, Un jardin sur le ventre
C’est l’histoire ordinaire de gens ordinaires dans une région où il ne fait ni beau ni mauvais. C’est l’histoire d’un peu tout le monde. L’histoire d’une vie fauchée. D’un amour qui s’arrête. D’une mère qui part. D’un mari qui devient veuf. D’un veuf qui ne veut pas le rester. C’est l’histoire de gens qui ne se comprennent pas. D’une sœur qui regrette. D’un frère qui revient. Il y a des petits-enfants qui souffrent, qui se taisent. Des filles qui pleurent, qui fument et des chiens qui aboient. C’est l’histoire banale de la vie et de la mort.
A la lecture de la quatrième de couverture, je m’attendais, je ne sais pas pourquoi, à ce que le roman présente un assemblage de différents portraits d’hommes et de femmes sans lien, mais toutefois ressemblants dans leur malheur. Rien ne me laissait non plus deviner que la narration serait si particulière.
L’histoire qui est racontée est celle de Suzanne, une femme que la vie n’a pas épargnée : les quelques années de bonheur vécues auprès de Mémère, sa grand-mère, seront suivies d’une longue et douloureuse période passée aux côtés de sa mère, une femme qu’elle avait prise jusque là pour sa tante, une irresponsable qui la délaisse, ainsi que son jeune frère, préférant s’investir dans des relations vouées à l’échec. Un jour, elle fait la rencontre de Franck, qu’elle ne tarde pas à épouser. Il lui donne deux filles et lui fait vivre, pendant des dizaines d’années, un véritable cauchemar.
C’est une histoire qui touche car elle pourrait être l’histoire de tout le monde. Au moment où débute notre récit, Suzanne décède et c’est sa fille Gabrielle qui entreprend de raconter l’histoire de cette mère disparue si brutalement. La narration est faite à la seconde personne, c’est un peu surprenant au début mais cela donne toute son originalité au roman. Il y a beaucoup de tendresse dans l’écriture d’Un jardin sur le ventre et l’on sent, chez l’auteur, une grande sensibilité. Avec des mots simples et des phrases qui claquent, Fabienne Berthaud a réussi à peindre le portrait « ordinaire » d’une femme qui se tait et subit.
L’œuvre en quelques mots…
« Où es-tu ? Je t’appelle et tu ne me réponds pas. Je tourne la tête à droite. A gauche. Je regarde en haut. En bas. Dans les bosquets, les buissons, les massifs de roses sans rose et d’hortensias sans hortensia. Chaque ombre m’interpelle. Chaque bruissement de feuille. Chaque craquement d’arbre. Je crie. Je cours. Où est-u ? Tu t’es trop bien cachée. Ta fugue est éternelle. » (p.37)
« Ma plaie est béante. Je ne sais pas comment je vais faire maintenant. J’ai hâte de dormir pour croire à mes rêves de t’avoir encore à mes côtés. Pour croire que tu existes encore. C’est à moi de te rejoindre dans ton monde impalpable. J’ai froid. Tellement froid. » (p.39)
« Pauvre maman. Tu détestais que je te dise « pauvre maman ». Je me souviens de cette phrase que tu m’as dite il n’y a pas longtemps, un jour où tu faisais le bilan de ton existence. Tu m’as dit :
- J’ai perdu mon mari sur le quai d’une gare. Il partait faire son service militaire et je ne l’ai jamais retrouvé.
Tu m’as fait pleurer ce jour-là en me laissant goûter à ta mélancolie. » (p.280)