Cécile Oumhani, Le Café d'Yllka
« Une femme croisée dans un aéroport et l’ombre d’une tragédie logée au fond de ses yeux... Malgré moi, je la suivis du regard, rien que pour savoir où elle allait, comme si cela me donnerait le secret du chagrin qu’elle emportait avec elle. Pristina... Sarajevo... Puis elle s’est dirigée vers un long couloir vitré. Je n’ai pas pu voir vers laquelle de ces deux villes elle se rendait. Je ne le saurai jamais. Il me restait l’écho terrible dont l’Histoire récente avait chargé ces deux noms. Pristina... Sarajevo... »
Deux romans publiés par les éditions Elyzad ont déjà accompagné mes soirées et c’est avec un grand plaisir que je me suis plongée récemment dans un troisième titre de leur catalogue. Encore une fois, le soin apporté à l’objet-livre mérite d’être mentionné : le papier, la première de couverture (en parfaite adéquation avec l’histoire) et le petit marque-page assorti.
A l’origine de ce texte, une jeune inconnue aperçue par l’auteure, Cécile Oumhani, dans le hall d’un aéroport. Elle ne saura jamais quel couloir la jeune femme a emprunté et vers quelle ville cette dernière s’en est allée : Pristina ou Sarajevo. Cécile Oumhani a donc tenté de reconstituer l’histoire de cette inconnue, lui a offert une vie de papier, en prenant pour point de départ l’indicible tristesse qui noyait son regard. Ainsi, le roman s’ouvre à Budapest, en Hongrie, dans ce même aéroport où la réalité a cédé le pas à la fiction, où la jeune inconnue s’est effacée pour donner naissance à Emina. Notre personnage vient de Munich et se rend à Skopje où elle espère retrouver sa mère, Yllka. Si revoir cette mère perdue est vital, il s’agit également pour l’héroïne de retrouver sa terre maternelle, celle d’avant la fuite, avant la destruction. Un pèlerinage s’amorce, placé sous le signe du souvenir.
Le Café d’Yllka est un roman de l’exil qui mêle deux époques : nous suivons Emina, adulte, qui revient dans son pays natal et nous partageons en même temps une partie de son adolescence, du début du conflit à sa fuite, par le biais du journal qu’elle a écrit alors. Ces passages ne sont pas sans rappeler Le Journal de Zlata et, comme lui, mettent en évidence l’absurdité de la guerre ressentie par une jeune fille qui ne demande rien d’autre que de vivre, normalement, sa vie d’adolescente. Les souvenirs affleurent : les jours passés dans la cave à se cacher du soleil, les bonbons donné par Yllka et restés longtemps dans une poche de pantalon, les refus de s’endormir de peur que les obus en profitent pour s’abattre sur la famille, la mort de sa cousine Ismeta, devenue « une enveloppe chiffonnée toute tachée de sang »… L’adolescente ne pleure pas, elle veut faire comme sa mère. Et les mots, enfin, les derniers qu’elle lui adressera, à elle, sa fille chérie, et à son petit frère, Alija : « Il faut que vous partiez. » C’est un roman de la quête, quête de soi, quête de l’absente, dans lequel l’héroïne questionne sans accuser. Il n’y a pas de violence dans ce roman parce que l’écriture est on ne peut plus poétique. Il n’y a pas de haine non plus, mais seulement le constat de meurtrissures indélébiles.
L’œuvre en quelques mots…
« Etrange, ce fracas qui va tout dévaster. Il s’annonce à demi-mots, par chuchotements. S’insinue entre les heures. Un peu comme un orage qui gronde et crache de l’encre dans les nuages là-bas dans le lointain. On sait qu’il va venir, qu’il va éclater. Il se déchaîne déjà, tout près, juste au-delà de l’horizon. Des rumeurs circulent autour d’elle, dehors, à l’école où enseignent ses parents. Même les regards se rencontrent maintenant sans se voir, à table, dans la rue. Et puis tout s’accélère… » (p.43)
« Si seulement elle pouvait sortir de la prison de sa mémoire… Oublier, pouvoir oublier, parce qu’il lui serait enfin donné d’avoir une certitude, de continuer son chemin loin devant, vers l’échappée. » (p.122-123)