Hélène Berr & Odile Neuburger, Correspondance 1934-1944
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Dans son Journal, Hélène Berr a raconté son quotidien de jeune fille juive sous l’Occupation. Arrêtée le 8 mars 1944, elle est déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen d’où elle ne reviendra pas. De l’été 1934 jusqu’à mars 1944, elle a échangé des lettres avec son amie Odile Neuburger. Le ton léger et facétieux de l’adolescence laisse peu à peu la place à la gravité lorsque les deux jeunes femmes sont bousculées par la guerre. Témoignage d’une richesse exceptionnelle, ces correspondances retracent également le destin de deux familles juives dans la France de Vichy : les restrictions imposées aux juifs, l’arrestation de proches, la déportation d’Hélène et l’horrible pressentiment du destin qui la guette. Un document pour l’histoire.
La plupart des lecteurs auront lu le Journal d’Hélène Berr avant de découvrir sa correspondance. Ce n’est pas mon cas et ce n’est pourtant pas faute d’avoir ce Journal dans ma bibliothèque… Je vais en profiter pour le remettre au-dessus de ma pile à lire. Dans Correspondance 1934-1944, nous sommes invités à lire l’échange épistolaire entre Hélène Berr, une jeune juive parisienne née en 1921, et son amie, Odile Neuburger, plus jeune de sept mois. Les deux jeunes filles sont âgées de 13 ans lorsqu’elles se rencontrent au cours Boutet de Monvel, rue du Faubourg Saint-Honoré. Leur amitié, instantanée, relève du coup de foudre et ce lien unique est perceptible dans les lettres qu’elles s’envoient dès 1934 : on y découvre une complicité et une tendresse qui ne faibliront pas. Séparées essentiellement lors des vacances scolaires, Hélène et Odile s’écrivent pour se donner des nouvelles, parler de leur famille, raconter leurs activités, évoquer leur lieu de villégiature. Tandis qu’Odile séjourne à Etretat, Saint-Jean-de-Luz ou encore Saint-Jean-Cap-Ferrat, Hélène est assez régulièrement présente à Aubergenville où se trouve la maison de campagne familiale. Toutes leurs lettres sont un témoignage précieux sur l’époque et nous apprennent aussi beaucoup sur leur personnalité commune : Hélène et Odile sont insouciantes, heureuses de vivre, parfois moqueuses, mais surtout intelligentes et perspicaces. Le regard qu’elles portent sur le monde et la vie est aussi fin qu’espiègle. Mais la guerre menace et la quiétude disparaît. La joie des échanges laisse place à une grande perplexité : comment se fait-il que la vie se poursuive à peu près normalement ? Très vite pourtant, les deux amies se retrouvent définitivement séparées : Odile et sa famille sont partis en zone libre, Hélène découvre Paris sous l’occupation. La première s’en veut, la deuxième se dit heureuse et se reconnaît un goût pour la souffrance, ce qui la rapproche du poète romantique anglais John Keats qu’elle étudie à la Sorbonne. Engagée à l’UGIF (Union générale des israélites de France), Hélène n’évolue pas dans une naïveté et un aveuglement réconfortants, elle sait au contraire combien les heures sont sombres. Dans sa dernière lettre, datée du 1er mars 1944, elle se confie à Odile sur son « impression que le bonheur est un fruit défendu et que c’est égoïste d’en jouir » et elle achève ainsi son écrit : « Je m’arrête, en attendant la prochaine fois – moi aussi je t’aime, je t’aime je t’aime. » Hélène Berr est arrêtée le 8 mars 1944, à 7h30.
L’œuvre en quelques mots…
« Quelles heures historiques nous vivons ! Qui aurait cru que notre correspondance devrait jamais traiter de ces choses-là ! » (Hélène à Odile, 14 septembre 1938) (p.136)
« Les sentiments qui dominent chez moi en ce moment sont l’abrutissement et la surprise de voir la vie suivre son cours normal Je n’arrive pas à comprendre comment je peux encore manger, dormir, comment le soleil a l’audace de briller, et comment les gens arrivent à vaquer à leurs occupations journalières. Je ne réalise l’horreur de la situation que par moments, lorsque j’oublie de m’empêcher de penser. » (Odile à Hélène, septembre 1939) (p.199)
« Depuis la guerre, comme tu le dis toi-même, tu es née à une nouvelle vie. Et moi j’en suis encore à étouffer les derniers soubresauts de l’ancienne en moi. » (Odile à Hélène, 14 juin 1943) (p.359)