Delphine de Vigan, Les Loyautés

Publié le par calypso

 

 

Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d'innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ?

 

Delphine de Vigan, je connais bien. J’ai lu tous ses livres. Dès ma première lecture, j’avais senti l’infinie délicatesse et la grande profondeur de sa plume. Roman après roman, cela ne s’est jamais démenti. Je ne la porte pour autant pas aux nues car plusieurs fois j’ai été déçue par le fond et je suis restée à l’écart des histoires racontées, mais sa plume est l'une des plus belles que l’on ait actuellement. Avec Les Loyautés, elle signe pour moi son meilleur roman. Et tant pis si les dernières pages laissent un goût d'inachevé. Tant pis s’il y a quelques répétitions. Tant pis car tout sonne tellement juste. C’est une galerie de personnages tous plus réalistes les uns que les autres qu’elle nous offre, sans fausse note et sans excès de pathos. Elle explore l’intime et le lien aux autres avec une grande précision, mettant l’humain au cœur de son roman. L’humain et sa loyauté, sous toutes ses formes. Les engagements pris vis-à-vis des autres, le respect des promesses que l’on se fait, la fidélité à ce que l’on est. Et, à travers ces « loyautés », elle interroge l’amitié, la confiance, le devoir. C’est un roman qui m’a véritablement secouée. Mentions spéciales pour le personnage de Théo, adolescent pris dans un étau familial qui le conduit à la dérive, et celui d’Hélène, qui me parle profondément.

 

 

L’œuvre en quelques mots…

 

« J’ai pensé que le gamin était maltraité, j’y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c’était quelque chose dans sa façon se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par cœur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière. Sauf qu’avec moi, ça ne marche pas. Les coups je les ai reçus quand j'étais gosse et les marques je les ai cachées jusqu'au bout, alors à moi, on ne me la fait pas. »

 

« Les coups je les ai reçus et le secret je l’ai gardé jusqu’au bout. J’ai trente-huit ans et je n’ai pas d’enfant. Je n’ai pas de photo à montrer, ni prénom ni âge à annoncer, pas d’anecdote ou de bon mot à raconter.

J'abrite en moi-même, et à l’insu de tous, l’enfant que je n’aurai pas. Mon ventre abîmé est peuplé de visages à la peau diaphane, de dents minuscules et blanches, de cheveux de soie. Et lorsqu’on me pose la question – c’est-à-dire chaque fois que je rencontre une nouvelle personne (en particulier des femmes), chaque fois qu’après m’avoir demandé quel est mon métier (ou juste avant), on me demande si j’ai des enfants –, chaque fois donc que je dois me résigner à tracer sur le sol cette ligne à la craie blanche qui sépare le monde en deux (celles qui en ont, celles qui n’en ont pas), j’ai envie de dire : non je n’en ai pas, mais regarde dans mon ventre tous les enfants que je n’ai pas eus, regarde comme ils dansent au rythme de mes pas, ils ne demandent rien d’autre qu’à être bercés, regarde cet amour que j’ai retenu converti en lingots, regarde l’énergie que je n’ai pas dépensée et qu’il me reste à distribuer, regarde la curiosité naïve et sauvage qui est la mienne, et l’appétit de tout, regarde l’enfant que je suis restée moi-même faute d’être devenue mère, ou grâce à cela. »

 

« Très vite, Théo a appris à jouer le rôle qu'on attendait de lui. Mots délivrés au compte-gouttes, expression neutre, regard baissé. Ne pas donner prise. Des deux côtés de la frontière, le silence s'est imposé comme la meilleure posture, la moins périlleuse. »

 

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L
aller zou! tu as fini de me faire trépigner! je finis mon livre en cours et ce sera ma prochaine lecture!
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C
Tant mieux ! Hâte de lire ton avis !