Karine Giebel, D'ombre et de silence

« Partir sans lui dire au revoir.
Parce que je me sens incapable d'affronter ses larmes ou de retenir les miennes.
L'abandonner à son sort.
Parce que je n'ai plus le choix.
(...)
Je m'appelle Aleyna, j'ai dix-sept ans.
Aleyna, ça veut dire éclat de lumière.
(...)
J'ai souvent détesté ma vie.
Je n'ai rien construit, à part un cimetière pour mes rêves.
Là au moins, on ne pourra pas me les voler. »
Quand ça va mal, que le moral est au plus bas, lisez Karine Giebel. Vraiment, vous verrez à quel point votre petite vie paisible est agréable. Elle est parmi ce qui se fait de plus glauque dans le « thriller du quotidien ». On pourrait croiser ses personnages à n’importe quel coin de rue. Ils pourraient être vos voisins ou vos collègues. C’est ce qui fait, je crois, la force de ses récits. Une réalité brute et noire.
Dans ce recueil de nouvelles paru en octobre, Karine Giebel nous invite à partager un petit bout de la vie d’êtres en souffrance, plongés dans un Enfer quotidien dont ils ne parviennent pas à s’extraire. Quand ils essaient, le Destin cruel n’hésite pas à se rappeler à eux… Il y a Aleyna, innocente prisonnière de conventions culturelles aussi absurdes qu’inhumaines, Aurore, amoureuse éperdue au mal-être irrémédiable, Delphine, mère-courage se sacrifiant sur l’autel du déshonneur pour offrir à son fils une vie digne de ce nom, et tant d’autres… Son histoire est à rapprocher de celle de Virginie dans « L’Intérieur », sans doute la fin qui m’a le plus plu. Quoique… J’hésite avec celle de « Aurore »… Brillante illustration de ce qu’est le harcèlement scolaire. « L’Été se meurt » est très courte, mais assez efficace… En ce qui concerne les points négatifs : je pense qu’il n’aurait pas fallu de nouvelle supplémentaire car j’ai ressenti un peu de lassitude sur la fin, peut-être parce que j’ai enchaîné les récits, alors que j’aurais pu les lire séparément, en les espaçant, pourquoi pas, de quelques jours. De plus, toutes ces nouvelles ne sont pas de qualité égale. J’ai trouvé « L’Homme en noir » un peu bancale, alors que l’idée de départ me semble très bonne, et « Le Printemps de Juliette » un peu facile, voire bâclée.
Voilà, j’ai lu tout Giebel ! À quand la suite ?
L’œuvre en quelques mots…
« Pendant une demi-heure, les deux jeunes femmes parlent de tout et de rien. Des enfants, des hommes, de la vie.
Cette chienne de vie.
Leurs angoisses qui persistent, les rêves qui s’effritent. Le passé qu’on porte comme un fardeau. L’avenir, qu’on peuple d’incertain. Les blessures qu’on transforme en forces, les offenses qu’on aimerait oublier et les victoires dont on veut se souvenir à jamais.
Elles rient, elles pleurent. Elles sont vivantes. » (« Ceux que les blessures laissent au fond des yeux »)
« Mon existence n’a été qu’une succession de jours sans saveur ni odeur jusqu’à ce que je la rencontre.
Je n’ai jamais vraiment été malheureux. Ce fut pire.
Je n’ai jamais vraiment été.
J’ai traversé la vie comme le vent traverse la cime des arbres. Sans laisser de traces. Inlassablement, tristement.
Vainement. » (« L’Été se meurt »)