Maja Lunde, Une histoire des abeilles

Angleterre, 1852. Père dépassé et époux frustré, William a remisé ses rêves de carrière scientifique. Mais la découverte de l'apiculture réveille son orgueil déchu : décidé à impressionner son unique fils, il se jure de concevoir une ruche révolutionnaire.
Ohio, 2007. George, apiculteur bourru, ne se remet pas de la nouvelle : son unique fils s'est converti au végétarisme et rêve de devenir écrivain. Qui va donc reprendre les rênes d'une exploitation menacée chaque jour un peu plus par l'inquiétante disparition des abeilles ?
Chine, 2098. L'Effondrement de 2045 a laissé la planète exsangue. Comme tous ses compatriotes, Tao passe ses journées à polliniser les fleurs à la main. Pour son petit garçon, elle rêve de l'avenir réservé à l'infime élite. Seulement, un jour, Wei-Wen tombe dans le coma après s'être aventuré seul dans une forêt… Afin de comprendre ce qui est arrivé à son fils, Tao se plonge aux origines du plus grand désastre de l'humanité.
Alors, c’est un roman qui parle des abeilles et qui a été écrit par une auteure norvégienne prénommée Maja. Vous voyez où je veux en venir ? Bon, merci à ceux qui connaissent leurs classiques et qui ont souri à cette blague foireuse. Maintenant, passons aux choses sérieuses.
Je n’avais aucune information sur ce roman avant de le lire, hormis bien sûr une idée assez floue du thème, et je l’ai donc lu de manière tout à fait neutre, sans aucune influence de quelque sorte qu’elle soit. D’abord, je trouve que la couverture est très sobre et très belle. Ce sont des abeilles, bien sûr, comme de petites sources de lumière, ce qui prend tout son sens quand on a lu le roman. L’histoire nous est racontée dans une alternance de chapitres à laquelle correspond une alternance de points de vue. C’est ainsi que nous découvrons tour à tour les trois personnages de ce roman, à commencer par Tao. C’est elle qui ouvre le bal, alors même qu’elle est la dernière en terme de chronologie. Elle vit dans le district 242 de Shirong, dans la province de Sichuan, en 2098. On découvre avec Tao un monde qui ne ressemble pas au nôtre. Le mot-clé y est le travail. L’éducation ne semble plus vraiment avoir sa place. On enseigne l’essentiel, le minimum, et ensuite on envoie les enfants dans les vergers. C’est là que Tao passe la majeure partie de ses journées, elle doit polliniser chaque fleur à l’aide d’une balayette en plumes de poule, les abeilles ayant disparu bien des années auparavant, bien avant l’Effondrement. Et puis il y a William qui vit à Maryville, dans le Hertfordshire, dans l’Angleterre du milieu du XIXe siècle. Il a un fils aîné et sept filles. C’est un homme qui semble passer complètement à côté de son existence et préfère rester alité que d’affronter sa vie. Il est en outre très maladroit dans son rôle d’époux et de père. Son spleen va cependant céder peu à peu la place à une énergie toute nouvelle, suite à la redécouverte d’un livre sur les abeilles… Il se jure alors de se consacrer à la construction d’une ruche innovante. Enfin, nous rencontrons George. Nous sommes en 2007, dans l’Ohio. George est marié et a un fils, Tom, mais ce dernier ne souhaite pas reprendre l’exploitation familiale, ce qui crée des tensions dans la famille. George doit aussi faire face à une autre source d’inquiétude – la productivité de ses ruches en perte de vitesse – avant d’être finalement confronté au « Colony Collapse Disorder », comme nombre d’autres apiculteurs avant lui…
Autant le dire tout de suite, les abeilles sont loin d’être une de mes spécialités et j’ai beaucoup aimé découvrir cet univers, d’autant plus que tout y est clairement énoncé. L’enjeu écologique du roman émerge assez rapidement, sur fond de surproduction à tout va, et cela me donne envie de me documenter un peu sur le sujet. Le point fort du roman est, à mon sens, cette triple narration qui empêche toute lassitude. La période que j’ai préférée est celle de Tao, c’est une femme touchante, elle livre un véritable combat pour l’éducation de son fils et devient une mère courage dans la suite du roman. J’ai apprécié également le personnage de George qui tente de sauvegarder ses ruches malgré toutes les difficultés qui se dressent sur son chemin. Il ne renonce pas et, sous ses airs un peu bourrus, se cache un homme sensible attaché à sa terre, luttant pour ses abeilles qu’il semble connaître plus qu’aucun autre. L’histoire qui m’a le moins touchée est celle de William. Ce sont trois tranches de vie unies par le même thème mais vraiment différentes les unes des autres. On pourrait croire à tort que se cache sous la fiction une volonté moralisatrice, il n’en est rien. La tristesse qui émerge de certains passages est contrebalancée par la note d’espoir finale. Je ne sais pas ce qu’il me restera de ce roman dans un an ou deux, mais j’ai apprécié ce moment de lecture.
Je remercie Babelio et les Editions Presses de la Cité pour ce partenariat.
L’œuvre en quelques mots…
« J’avais perdu mon père à l’âge de dix-neuf ans […]. Ma mère se remit étonnamment vite de sa disparition. Optimiste en apparence, elle répétait bravement qu’elle était encore jeune, qu’elle avait de beaux jours devant elle. Qui sait ? Peut-être rencontrerait-elle-même un autre homme. Mais tout ça n’était que paroles en l’air. Bien vite, ma mère se détacha du monde comme les pétales de fleur qui s’envolent à la fin du printemps. Il y avait du vent dans son regard devenu impossible à saisir. » (p.66-67)
« 2007. C’était l’année où l’on avait donné un nom à l’Effondrement : CCD – pour Colony Collapse Disorder, soit le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.
Mais cela avait commencé bien avant, comme je le découvris avec un film sur l’apiculture au XXe siècle. Cette activité avait prospéré de manière spectaculaire après le Second Guerre mondiale, les Etats-Unis à eux seuls comptant alors pas moins de 5,9 millions de colonies. Mais en Amérique comme partout ailleurs, les abeilles se mirent à connaître une forte mortalité. En 1988, le nombre de ruches avaient diminué de moitié. Beaucoup de régions étaient touchées par ce phénomène, apparu dès les années 1980 dans le Sichuan. Il fallut cependant attendre que l’hécatombe atteigne les Etats-Unis – en 2006 et 2007, des milliers de ruches disparurent en l’espace de quelques semaines – pour que l’on nomme enfin le phénomène : l’Effondrement. En ce temps-là, une simple catastrophe en Chine ne méritait pas que tous les chercheurs de la planète se penchent sur la question. Comme les choses avaient changé, depuis. » (p.321-322)