Wahiba Khiari, Nos silences
Algérie, années 1990. Elles ont été des milliers à être enlevées, violées, parfois assassinées, les filles de la décennie noire. Ces très jeunes filles, à qui l’on a demandé de pardonner, se sont tues et ont ravalé leur honte.
Tandis que résonne le cri de l’une d’entre elles, la narratrice raconte sa culpabilité d’avoir choisi l’exil et trouvé le bonheur. Deux voix de femmes en écho qui prennent la parole haut et fort, en mémoire de toutes les autres.
L’écriture pour vaincre les silences. Un roman contre l’oubli.
Deux voix se croisent dans ce roman, deux voix de femmes déchirées, deux miroirs d’une société subie et exécrée. Wahiba Khiari, l’auteure de ces pages, est aussi une des narratrices. Professeur d’anglais dans un lycée proche de Constantine, elle a eu le cran de quitter son pays natal, l’Algérie, un pays qu’elle a aimé mais dans lequel elle n’a pas pu trouver sa place. Elle a toujours refusé de porter le voile. Son mot d’ordre : « ne jamais céder à la menace ». Impossible pour elle de cautionner les actes inhumains subis par des milliers de femmes, ses voisines, ses élèves, ses sœurs. Difficile pourtant de quitter sa famille et sa terre mais l’exil s’avère vital. L’espoir est ailleurs. Wahiba Khiari a fui mais la culpabilité ne l’a jamais quittée. Elle prête sa voix à une jeune fille qu’elle a connue lorsqu’elle enseignait en Algérie, une de ses élèves, une adolescente brillante et sensible, vénérant Victor Hugo. Cette deuxième voix se confie sans détour et se fait porte-parole : elle relate ce qu’elle a subi, comme des milliers de femmes, dans l’Algérie des années 90. L’enlèvement d’abord, puis le viol. Les viols, répétés encore et encore par des musulmans brutaux. C’est un roman cathartique dans lequel l’auteur se livre autant qu’elle se délivre. Les mots auraient pu être aussi durs que les souffrances ont été grandes, mais il n’en est rien. La plume est délicate et on note également une certaine retenue. Il n’y a parfois pas de mots pour décrire l’horreur… Un texte fort et nécessaire.
Le roman qui a obtenu le Prix Senghor de la création littéraire 2010, s’ouvre sur une citation fort à propos de Marguerite Duras : « Ecrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. »
L’œuvre en quelques mots…
« Je suis née à retardement, une alerte à la bombe, une grenade dégoupillée par la nature, une déflagration annoncée, un danger. Je suis née quelque part où il me fut bon vivre, jusqu’au jour où je réalisai qu’autour de moi, rester en vie était devenu un projet de société, le régime en vigueur. » (p.11)