Russell Rowland, Grands espaces
« A regarder les gens présents, je m'aperçus que parmi eux il n'y avait qu'une seule famille qui n'avait pas perdu d'enfant : les Purdy, qui n'en avaient pas. Les Glasser avaient enterré leur bébé le matin même. Et je vis dans les veux de ces gens une sympathie que seule une personne qui avait eu la même expérience pouvait voir. Je n'avais jamais vu la douleur parce que je ne l'avais jamais éprouvée. »
Saison après saison, les Arbuckle luttent pour la survie de leur ranch du Montana. La nature y est parfois traîtresse, comme en ce jour d'automne 1916 où George, l'aîné, le fils le plus prometteur, se noie dans la rivière. Quelque temps plus tard, Katie, l'une des filles, périt à son tour. Refusant la fatalité, Blake Arbuckle, encore adolescent, se laisse gagner par le soupçon : et si c'était Jack, son second frère, le responsable de ces deux disparitions ?
J’ai eu tout d’abord un peu de mal à entrer dans ce roman mais c’est souvent le cas avec les romans denses qui comptent de nombreux personnages ou se déroulent sur plusieurs années. Une fois les cent premières pages passées, j’ai réellement commencé à apprécier cette lecture. La narration à la première personne est un choix particulièrement intéressant et nous permet de suivre de l’intérieur la vie des Arbuckle dans leur ranch du Montana, une région que l’auteur connait puisque sa famille y est établie depuis plusieurs générations. De l’automne 1916 à l’été 1985, nous observons le quotidien de Blake Arbuckle et de sa famille brutalement brisée par la mort tragique de George, le fils aîné. Peu après, le décès de la joyeuse Katie anéantira la famille et notamment Blake, très attaché à sa petite sœur.
Dans ce roman intitulé Grands espaces où la nature tient un rôle essentiel par sa grandeur et sa dureté, il est surtout question d’espace intérieur : souffrance humaine, ambitions déçues, amitiés menacées, dépassement de soi. C’est l’histoire d’hommes et de femmes qui partagent les difficultés auxquelles ils sont confrontés : « Et je compris que même si nos maisons étaient tellement éloignées les unes des autres, l’espace entre nous était beaucoup moins vaste que ce que j’avais toujours pensé. » C’est aussi l’histoire d’un homme qui sacrifie son bonheur pour le bien-être de sa famille. Blake est un personnage attachant qui impose le respect, un vrai personnage de roman dont il nous plait de suivre l’évolution au fil des années et des aléas de la vie.
L’œuvre en quelques mots…
« Apparemment, il n’y avait qu’une certitude : ma famille était la source principale de ma force et, à ce titre, avait sur moi une emprise immuable. Cela ne changerait jamais. En revanche, ce qui semblait sujet à toutes sortes d’aléas, c’était ma capacité à ne pas l’oublier, à garder cela toujours présent à l’esprit. » (p.301)
« Il me semble que le chagrin se développe tout à fait comme un enfant. Au début, ils ne peuvent parler ni l’un ni l’autre, même s’ils savent très bien faire connaitre leur présence – parfois de façon subtile, parfois de manière plus théâtrale. Le message n’est peut-être pas très clair, mais on ne peut jamais douter de la profondeur du sentiment, de la passion.
Lorsqu’il grandit et prend de l’âge, le chagrin acquiert une voix qui lui est propre, une voix dont le message n’est clair que pour une oreille attentive et patiente. Et si on fait semblant de ne pas l’entendre, la voix va finir par exiger cette attention jusqu’à ce qu’un jour, en se retournant, on se trouve carrément face à face avec le chagrin. » (p.481)