Laurent Gaudé, Le soleil des Scorta
La lignée des Scorta est née d’un viol et du péché. Maudite et méprisée, cette famille est guettée par la folie et la pauvreté. A Montepuccio, dans le sud de l’Italie, seul l’éclat de l’argent peut éclipser l’indignité d’une telle naissance. C’est en accédant à l’aisance matérielle que les Scorta pensent éloigner d’eux l’opprobre. Mais si le jugement des hommes finit par ne plus les atteindre, le destin, lui, peut les rattraper. Le temps, cette course interminable du soleil brûlant les terres de Montepuccio, balayera ces existences de labeur et de folie.
A l’histoire de cette famille hors du commun se mêle la confession de sa doyenne, Carmela, qui résonne comme un testament spirituel à destination de la descendance.
Pour que ne s’éteigne jamais la fierté, cette force des Scorta.
1875. Un homme sur son âne se dirige vers Montepuccio, un village blanc aux petites maisons serrées. Il vient chercher vengeance. Le père Zampanelli l’aperçoit mais ne reconnaît pas Luciano Mascalzone, un bandit craint de tous, condamné jadis à 15 années de prison. L’homme traverse le dédale des rues désertes, en direction de la maison des Biscotti, une famille modeste mais honorable. Il vient chercher ce qu’il n’a pu posséder 15 ans auparavant : le corps de Filomena Biscotti. Mais la belle italienne est décédée quelques années plus tôt. Une femme s’abandonne pourtant entre les bras de Luciano ce jour-là et, sous le regard moqueur du destin, leur union scelle le début de la malédiction des Scorta.
Tantôt haïs, tantôt respectés, les Scorta attirent inévitablement l’intérêt du lecteur. Leur histoire, racontée à la manière d’une tragédie, n’est pas sans rappeler celle des Atrides. Né d’un viol, le premier enfant de la lignée sera, comme son père, un véritable brigand. Parce qu’il ne peut faire autrement. Parce que le destin l’a voulu. Parce qu’il est fou et qu’il le reconnaît. Marié à une sourde et muette, ce fils maudit aura trois enfants, Domenico, Giuseppe et Carmela, qui devront choisir : accepter leur condition et la malédiction pesant sur leur famille ou se battre et, à la sueur de leur front, obtenir le respect de tous. Laurent Gaudé nous invite donc à suivre le parcours de ces trois enfants Scorta et de Raffaele, leur ami, et réussit le pari de transporter ses lecteurs au sud de l’Italie, dans la région des Pouilles, là où la terre est aussi sèche que les hommes rugueux. Le Soleil tient une place essentielle dans le roman. Il rend plus difficile la tâche des Scorta, rythme leurs espoirs et leurs souffrances. Il observe, impassible, la danse des maudits.
J’ai lu cette œuvre dans le cadre du Challenge Un mot, des titres et je crois bien que je n’aurais pas pu mieux choisir tant le soleil envahit chacune des pages de ce roman.
L’œuvre en quelques mots…
« Luciano Mascalzone déambula dans les rues étroites du vieux village endormi. « Il m’a fallu du temps mais je reviens. Je suis là. Vous ne le savez pas encore puisque vous dormez. Je longe la façade de vos maisons. Je passe sous vos fenêtres. Vous ne vous doutez de rien. Je suis là et je viens chercher mon dû. » Il déambula jusqu’à ce que son âne s’arrête. D’un coup. Comme si la vieille bête avait toujours su que c’était ici qu’elle devait aller, que c’était ici que prenait fin sa lutte contre le feu du soleil. » (p.14-15)
« Une famille devait naître de ce jour de soleil brûlant parce que le destin avait envie de jouer avec les hommes, comme les chats le font parfois, du bout de la patte, avec des oiseaux blessés. » (p.27)
« Les Scorta acquiescèrent. Oui. Qu’il en soit ainsi. Que chacun parle au moins une fois dans sa vie. A une nièce ou un neveu. Pour lui dire ce qu’il sait avant de disparaître. Parler une fois. Pour donner un conseil, transmettre ce que l’on sait. Parler. Pour ne pas être de simples bestiaux qui vivent et crèvent sous ce soleil silencieux. » (p.130)