Jeffrey Ford, La fille dans le verre
Arnaquer des riches crédules en organisant chez eux des séances de spiritisme est une chose, être soi-même la victime d'une sorte d'hallucination inexplicable en est une autre. Schell, illusionniste de talent, bien placé pour être le plus sceptique des hommes, a pourtant bien vu dans le reflet d'une baie vitrée l'image d'une fillette disparue. Fantôme ? Hallucination ? Mauvaise farce ? Dans l'Amérique en crise puritaine et hypocrite de la prohibition et alors qu'en Europe les thèses nazies donnent de la voix, Schell, accompagné d'un immigré mexicain de dix-sept ans et d'un ancien hercule de foire, refuse de trancher et décide de retrouver l'enfant. Pouvait-il imaginer qu'il allait, par sa curiosité, heurter de plein fouet un monde obscur et terrifiant ?...
Autant le dire tout suite, si La fille dans le verre n’est pas un coup de cœur cela a toutefois été une bonne lecture. C’est un roman policier dans le sens où les personnages principaux mènent une enquête mais ce n’est pas uniquement cela. C’est un roman d’ambiance : nous sommes véritablement plongés dans l’Amérique de 1932, à l’époque de la Grande Dépression. Le sort des immigrants mexicains est présent tout au long du récit et la montée du nazisme est également largement évoquée. L’introduction de nombreuses données historiques au sein de l’intrigue principale sort un peu de l’ordinaire. De même, le trio composé de Schell, Antony et Diego est on ne peut plus original. Ce sont des arnaqueurs : ils profitent de la crédulité des gens pour gagner de l’argent. Ainsi, ils enchaînent les séances de spiritisme censées faire revenir les morts pour quelques instants. Toutes ces arnaques sont brillamment mises en scène et bon nombre de détails nous sont donnés, ce que j’ai particulièrement apprécié. Un jour pourtant, ils sont pris à leur propre piège : Schell croit apercevoir, en pleine séance de spiritisme, le fantôme d’une fillette dont ils apprennent la disparition quelques jours plus tard. A travers des chapitres courts et, de fait, plutôt agréables à lire, nous suivons les péripéties de notre trio d’arnaqueurs dans leur quête de la vérité. Dans ce roman, on se castagne, on flirte avec l’irrationnel, on découvre des monstres de foire, on sourit pas mal car l’humour est présent, on est ému aussi par la relation entretenue entre Schell et Diego, son protégé.
Je ne vous ai pas parlé de la couverture : je la trouve magnifique. C’est ce jeu d’ombre et de transparence, cette petite fille et ce papillon qui m’ont attirée, avant même de lire la quatrième de couverture. Elle n’est pas fortuite : Schell, notre roi de l’arnaque, est passionné par les papillons qu’il étudie dans son Bestiolarium. Le thème du papillon parcourt l’œuvre et donne lieu à plusieurs métaphores. Le papillon est ainsi l’image du souvenir qui est un thème important dans notre récit : « M’asseoir près d’Isabel faisait revenir mon enfance, souvenirs nets et pleins de vie, comme si j’avais pour mémoire une pièce remplie de papillons. » Les papillons sont aussi, d’après Schell, des « experts en illusion ». Le lien avec les activités de nos personnages est vite fait. Mais c’est aussi bien souvent l’illustration de l’âme libérée, encore un thème essentiel dans La fille dans le verre.
L’œuvre en quelques mots…
« Il existe une espèce de guêpe parasite qui se fixe aux ailes postérieures des femelles papillons. Lorsque ces dernières pondent, leurs passagers clandestins se laissent tomber sur la couvée pour s’en nourrir. Avec ses manoirs et ses citoyens à la fabuleuse fortune, les Vanderbilt, Coe ou Guggenheim, on pouvait comparer la côte nord de Long Island à un magnifique papillon voletant juste au-dessus des efforts désespérés des Américains pour vivre après le crash de 1929. Bien entendu, nous étions quant à nous les guêpes parasites, nous nourrissant du précieux chagrin des privilégiés. »