Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne
À quelques mois d'intervalle, la vie m'a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d'un enfant pour ses parents, celle d'une jeune femme pour ses enfants et son mari.
Quelqu'un m'a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n'écris-tu pas notre histoire?
C'était une commande, je l'ai acceptée. C'est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l'amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d'un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s'occupaient d'affaires de surendettement au tribunal d'instance de Vienne (Isère).
Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d'extrême pauvreté, de justice et surtout d'amour.
Tout y est vrai.
Il a suffi d’un billet pour que D’autres vie que la mienne rejoigne ma LAL. Je ne sais plus lequel, mais bien d’autres ont suivi qui m’ont convaincue à leur tour. Je crois d’ailleurs n’avoir lu aucun billet négatif et je ne suis pas étonnée car c’est un livre qui ne peut que toucher.
Confronté à deux événements bouleversants, l’auteur décide de les relater par écrit. Il ne s’agit pas tant de se soulager à travers l’acte d’écrire que d’offrir aux proches des disparues un livre-mémoire et d’évoquer la mort, mais surtout la vie, afin de montrer à quel point celle-ci est précieuse.
Au Sri Lanka où il est allé passer des vacances avec son fils Jean-Baptiste, sa compagne Hélène et le fils de cette dernière, Emmanuel Carrère assiste, impuissant, aux terribles conséquences du tsunami qui a ravagé les côtes asiatiques en 2004. Sur place, le couple a sympathisé avec Delphine et Jérôme, venus avec leur fille. Lorsque la petite Juliette est prise par la vague, leur monde s’écroule.
Quelques mois plus tard, la sœur d’Hélène, atteinte d’un cancer, décède. Après l’horrible perte d’un enfant, c’est à celle d’une mère que l’auteur est donc confronté. Il fait revivre cette autre Juliette en interrogeant ses proches, de Patrice, son mari avec qui elle a vécu tant de choses, à Etienne, avec qui elle partageait sa passion, son métier, le droit.
Ecrit sans voyeurisme ni misérabilisme, ce témoignage est poignant parce qu’il évoque des situations qu’on souhaiterait de jamais avoir à vivre.
Toutefois, je regrette la disproportion entre les deux histoires racontées, la première s’étend sur 70 pages environ alors que le livre en fait plus de 300. Je pense que la seconde partie est un peu longue. Il y a notamment un passage extrêmement long où l’auteur évoque le travail de Juliette. Bien sûr, c’est une manière de parler d’elle, mais j’aurais préféré que ce passage soit écourté, il fait perdre un peu de son intensité au témoignage.
Cela reste néanmoins un petit bémol. J'ai beaucoup apprécié cette lecture, qui m'a émue aux larmes et qui correspond parfaitement à mes goûts en matière de lecture.
Vous pouvez consulter, entre autres, les avis de Nanet, Mrs Pepys, Lasardine, Djak...
L’œuvre en quelques mots…
« Patrice vit dans le présent. Ce que les sages de tous les temps désignent comme le secret du bonheur, être ici et maintenant, sans regretter le passé ni s'inquiéter de l'avenir, il le pratique spontanément. » (p.283)
« Un jour j’ai dit à Etienne : Juliette, je ne la connaissais pas, ce deuil n’est pas mon deuil, rien ne m’autorise à écrire dessus. Il m’a répondu : c’est ça qui t’y autorise, et moi, d’une certaine façon, c’est pareil. […] Sa mort me bouleversait, comme peu de choses dans ma vie m’ont bouleversé, mais elle ne m’envahissait pas. J’étais devant elle, près d’elle, mais à ma place. » (p.301)