David Foenkinos, Les souvenirs
« Je voulais dire à mon grand-père que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux le lui dire, là. »
David Foenkinos nous offre ici une méditation sensible sur la vieillesse et les maisons de retraite, la difficulté de comprendre ses parents, l'amour conjugal, le désir de créer et la beauté du hasard, au fil d'une histoire simple racontée avec délicatesse, humour, et un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques.
David Foenkinos est loin d’être un inconnu, je suis capable de citer quelques-uns de ses romans mais je n’avais encore jamais eu l’occasion d’en lire un. Cette erreur est désormais réparée !
Dès les premiers mots, j’ai été séduite par la plume de l’auteur, une plume délicate mêlant habilement sensibilité et humour. C’est d’ailleurs, à mon sens, la grande force de ce roman autobiographique qui, dans sa forme, peut sembler quelque peu « décousu ». Le roman s’ouvre sur un deuil et les premières phrases donnent le ton : « Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j’ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c’était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m’attendre sans bouger. » (p.9) La mort de son grand-père est, pour l’auteur, le point de départ d’une succession de souvenirs. Il reconstitue alors, au fil des pages, l’histoire de ses grands-parents et de ses parents, sa propre histoire en définitive. Par petites touches, le lecteur rencontre, entre autres, un grand-père qui a vu sa vie s’achever à cause d’une savonnette, une grand-mère en mal de liberté enfermée dans une maison de retraite, une mère retraitée et dépressive ; il assiste à une rencontre pour le moins originale, celle des parents de l’auteur ; et lui tient compagnie dans ce petit hôtel parisien où il travaille, en attendant que son talent d’écrivain n’éclate. Il partage les doutes, les moments de faiblesse, les petits bonheurs d’un écrivain qui lui ouvre, avec une grande simplicité, les portes de sa mémoire. Cette mythologie familiale est racontée en alternance avec des « souvenirs » appartenant à l’auteur ou à ceux qui ont croisé sa route, l’ensemble formant 68 chapitres qui sont autant de petites madeleines de Proust.
Lire Les Souvenirs, c’est pénétrer dans un univers fait de petits riens, de moments insignifiants ou essentiels, impérissables dans tous les cas. Autant de souvenirs qui ne sont pas ceux du lecteur et qui, pourtant, le conduisent lui aussi sur la trace de son histoire, l’invitant à farfouiller à son tour dans sa mémoire. C’est un joli texte, qui offre de très beaux passages et promet de belles émotions.
L’œuvre en quelques mots…
« La vie est une machine à explorer notre insensibilité. On survit si bien aux morts. C’est toujours étrange de se dire que l’on peut continuer à avancer, même amputés de nos amours. » (p.19)
« Je ne pourrai jamais oublier la façon dont cette jeune femme s’est approchée de moi, avec une démarche relativement assurée. Elle portait une robe bleu foncé, sans le moindre motif, et ses cheveux étaient remontés en queue-de-cheval. Je pourrais décomposer son avancée vers moi, pendant de nombreuses pages. Ce serait facile. A cet instant, je ne savais rien d’elle. Elle était encore une femme parmi les trois milliards de femmes ; une anonyme dans ma vie. Oui, à cet instant, je ne savais pas encore son prénom : Louise. Je ne savais pas qu’elle était institutrice depuis trois ans ici, et que cette année elle s’occupait des CE2. […] Elle alternait des moments où elle était boudeuse et des moments où elle était rêveuse. Elle aimait la pluie, car cela lui permettait de mettre ses bottes rouges. Le rouge, ce sont les années 1980. Elle chassait les escargots, mais les libérait toujours, prise de culpabilité. […] Quand elle marcha vers moi, je ne savais pas encore qu’elle aimait les poupées russes et le mois d’octobre. » (p.162-163)
« Louise a dit oui, et j’ai dit oui aussi, nous nous sommes embrassés, et j’ai pensé que ce baiser était le roman que je n’arrivais pas à écrire. » (p.231)