Annie Ernaux, La place
Annie Ernaux compose La Place après la disparition de son père. Au fil de ses souvenirs, elle retrace la vie de cet homme, ouvrier devenu cafetier, qui avait conquis sa " place " dans la société. Dans une écriture épurée et pudique, elle dévoile la douloureuse distance que ses études et son mariage ont installée entre elle et son père et rend un vibrant hommage à ses parents.
La Place est une œuvre autobiographique qui ne met pas au premier plan l’auteure mais la figure paternelle. L’homme est issu du monde rural et est devenu ouvrier. La narratrice vient d’obtenir son Capes de Lettres. Entre eux, l’écart s’est creusé. Le manque d’instruction du père, ses maladresses et sa volonté de s’élever socialement, l’envie d’apprendre de sa fille et de fréquenter d’autres milieux sociaux, sont au cœur du récit. Au fil du temps, un sentiment fort s’accroît : la honte.
La première remarque qu’il me vient à l’esprit, c’est qu’il y a dans ce court texte beaucoup de retenue. C’est la première œuvre d’Annie Ernaux que je lis et je ne sais donc pas si la remarque que je vais faire est valable pour toutes les autres : Annie Ernaux pratique dans ce roman ce qu’elle appelle une « écriture plate », je n’aurais pas su mieux définir ce style qui transforme l’auteure en observatrice, comme si elle était détachée de ce qu’elle raconte, comme s’il avait fallu qu’elle extraie ses émotions de ses souvenirs. C’est justement ce qui m’a manqué pour apprécier pleinement cette œuvre et être enchantée de ma rencontre avec cette auteure : l’émotion. J’aime être émue et la distance avec laquelle Annie Ernaux évoque ses rapports avec son père m’a empêchée de l’être. Malgré tout, il y a une certaine délicatesse à évoquer ce père sans produire de jugement et écrire sur lui reste un bel hommage. En outre, La place est une œuvre qui se lit facilement.
Une femme et « Je ne suis pas sortie de ma nuit » m’attendent sagement sur mes étagères.
L’œuvre en quelques mots…
« Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d’« émouvant ». Je rassemblai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée.
Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. » (p.17-18)
« Je pensais qu’il ne pouvait plus rien pour moi. Ses mots et ses idées n’avaient pas cours dans les salles de français ou de philo, les séjours à canapé de velours rouge des amis de classe. L’été, par la fenêtre ouverte de ma chambre, j’entendais le bruit de sa bêche aplatissant régulièrement la terre retournée.
J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire. » (p.57-58)