Andrew Davidson, Les Ames brûlées
La route, la nuit. Un accident de voiture. Et le feu, dévorant...
Au service des grands brûlés, un homme contemple son corps calciné. Les cendres d'une vie dissolue. L'Enfer lui a ouvert ses portes - plus rien ne le retient chez les vivants, sinon les visites régulières de Marianne Engel, schizophrène reconnue.
Et celle-ci de lui raconter une bien étrange histoire. Une histoire d'amour fou qui débute à l'ombre d'un monastère, au XIVe siècle. Une histoire où grimacent les gargouilles, brûlent les damnés, planent les fantômes de Dante et des mystiques allemands. Leur histoire. Leur amour.
Ce qui est né par le feu renaîtra par le feu. Pour une ultime fois, les amants maudits traverseront chaque cercle de l'Enfer. Pour leur délivrance. Et leur rédemption...
C’est l’histoire d’un homme qui rencontre une femme.
L’histoire d’un grand brûlé qui rencontre une schizophrène.
L’histoire de deux âmes qui se retrouvent.
Finalement, l’histoire des Ames brûlées n’est pas plus compliquée que cela. Qu’importent le lieu et le temps, qu’importent le parcours et les obstacles, c’est bel et bien une histoire d’amour qui nous est racontée. Et pourtant, ce roman est bien autre chose. Foisonnant, déconcertant, passionnant. Parfois ennuyant aussi. J’ai du mal à dire finalement quel est mon avis définitif sur ce titre. Je ne l’ai pas détesté, je ne l’ai pas adoré, mais je peux affirmer que c’est un roman de qualité. L’auteur fait preuve d’une imagination sans limite et d’un style d’écriture très agréable. Je serais d’ailleurs ravie de pouvoir lire un jour un autre de ses romans, mais dans un genre différent. Seulement, pour le moment, il n’y en a pas d’autres. Il faut savoir que l’écriture des Ames brûlées a duré sept ans, recherches comprises, et cela ne m’étonne pas, tant les informations délivrées y sont précises. Imaginez : durant les quatre-vingts premières pages, vous assistez à un accident terrible, à la lente agonie d’un homme, aux soins qui lui sont apportés, aux souffrances physiques et psychologiques d’un être cloué sur un lit d’hôpital. Elles sont longues ces quatre-vingts pages et, pourtant, elles se dévorent. Parce que tout est raconté de l’intérieur. Il est impossible pour le lecteur d’imaginer l’épreuve vécue mais il y est poussé pourtant parce un choix narratif très intelligent. Ces pages, aussi éprouvantes soient-elles, sont une véritable réussite et une très bonne entrée en matière. Vient ensuite la rencontre avec Marianne Engel, une schizophrène, ancienne patiente de l’hôpital dans lequel le narrateur a été admis. Elle est grande, belle et mystérieuse. Elle vient tenir compagnie à notre grand brûlé qui peine à comprendre l’attachement de cette femme pour lui. Il repense à son passé, à toutes ces femmes qu’il ne possèdera plus, lui, l’ancien acteur porno qui brûlait la chandelle par les deux bouts, lui, l’homme adulé qui avait fait du sexe une religion. Elle est là pourtant, cette Marianne, déroutante. Et l’histoire devient à son tour troublante : il est question de réincarnation, de multiples cœurs, de gargouilles, de manuscrits anciens. Marianne entreprend alors de raconter au narrateur sa vie et leur histoire d’amour : le lecteur est invité à remonter le temps, jusqu’au Moyen-Age, et les détails sur cette période abondent. Mais Marianne raconte également d’autres histoires d’amour, ce qui est, par rapport à la progression de l’histoire principale, assez perturbant. Bien sûr, les pages se tournent car l’auteur nous donne envie de connaître le fin mot de toute cette histoire, mais il m’est aussi arrivé de ne lire que quelques pages et de reposer, perplexe, ce volumineux roman (plus de 650 pages). J’ai finalement beaucoup aimé la réflexion sur le corps et l’âme développée dans ce roman et j’ai apprécié également la fin qui m’a semblé juste et nécessaire. Un mot sur le titre qui, à l’origine, est The Gargoyle : pour une fois, il ne fait aucun doute que le choix de traduction est bon.
L’œuvre en quelques mots…
« Les accidents, comme l’amour, frappent ceux qui s’y attendent le moins, souvent avec violence. » (p.9)
« Il y a comme un doux soupir qui tombe, pareil à de la soie ondulante, sur l’âme qui accepte sa mort prochaine. C’est une poche d’air apaisante dans la turbulence de la vie quotidienne. Cette soie imaginaire voltige - non, voltiger est un verbe trop actif -, cette soie se pose sur vous et vous donne l’impression qu’elle dérivait vers la terre depuis toujours et vient enfin de trouver sa cible. » (p.31)
« Quel tour inattendu du destin : il a fallu que ma peau soit brûlée pour que je puisse enfin devenir sensible : Ce n’est qu’après m’être réincarné en un être physiquement repoussant que j’ai pu entrevoir les possibilités du cœur. » (p.530)
« J’ai passé ma vie entière à t’attendre, Marianne. Et je ne le savais même pas avant ton arrivée. Mes brûlures ont été la meilleure chose qui me soit arrivée parce que c’est grâce à elles que tu es apparue. Je voulais mourir, mais tu m’as comblé de tant d’amour que j’en ai été submergé et que je n’ai pas pu m’empêcher de t’aimer en retour. C’est arrivé avant même que je m’en aperçoive, et maintenant, je ne peux plus imaginer de ne pas t’aimer. Tu m’as dit qu’il m’en fallait beaucoup pour me pousser à croire, mais je crois maintenant. Je crois en ton amour pour moi. Je crois en mon amour pour toi. Je crois que chacun des battements à venir de mon cœur t’appartient, et je crois que lorsque je quitterai enfin ce monde, mon dernier souffle emportera ton nom. Je crois que mon dernier mot – Marianne – sera tout ce qu’il me faudra pour savoir que ma vie a été bonne, pleine et digne, et je crois que notre amour durera toujours. » (p.636)