Andrée Chédid, Le Message
Dans la rue déserte d'une ville ravagée par la guerre, Marie s'effondre, touchée par une balle alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre Steph. Leurs retrouvailles devaient sceller leur réconciliation et l'aveu d'un amour partagé. Luttant contre la mort, la jeune femme ne désire plus qu'une chose : transmettre un message à Steph pour lui dire qu'elle venait et qu'elle l'aime.
Je connaissais Le Message sans l’avoir jamais lu car, à l’origine, ce roman est une nouvelle intitulée « Mort au ralenti ». J’ai souvent croisé des billets sur ce roman en trouvant étrange que cette histoire soit si proche de celle que j’avais pu découvrir dans le recueil L’Artiste et autres nouvelles. Puis, j’ai fini par comprendre que les deux textes étaient liés. Il se trouve que c’est la petite-fille d’Andrée Chédid qui, en découvrant cette nouvelle, a incité sa grand-mère à développer l’histoire, persuadée que celle-ci pourrait ensuite être le point de départ d’un magnifique film. Comme elle a eu raison ! J’avais gardé un bon souvenir de la nouvelle, mais Le Message est encore plus fort, plus beau, plus profond.
Au fond, ce n’est pas tant l’histoire qui importe que la grâce avec laquelle Andrée Chédid nous la livre. La trame est en effet très simple : une jeune femme, Marie, est touchée par une balle, en pleine rue, alors qu’elle devait rejoindre son amour, Steph. Dès lors, plus rien n’a d’importance que d’arriver à l’heure au rendez-vous : « Ce qui compte, à présent, au-delà même de sa vie, c’est d’arriver à l’endroit où Steph l’attend. » (p.17) Mais Marie a surestimé ses forces. Dans cette ville ravagée par la guerre, un couple d’octogénaires tente de lui venir en aide tandis que Steph s’enfuit, déçu que celle qu’il aime ne soit pas venue au rendez-vous. Anton et Anya ne sont pas les seuls à être touchés par la détresse et la souffrance de cette jeune inconnue. En effet, Giorgio, un jeune homme mystérieux, armé d’un fusil, habitué à se terrer dans les bâtiments en ruine, va tout faire pour trouver une ambulance…
L’issue fatale ne fait quasiment aucun doute, ce qui confère au roman une véritable dimension tragique et l’histoire, d’une tristesse infinie, est sublimée par la plume magistrale d’Andrée Chédid : chaque mot est une pulsation, chaque phrase égrène le temps qui passe. Au-delà de l’histoire de Marie et Steph, de l’histoire d’un amour contrarié, c’est l’histoire universelle de l’amour mis à mal par la guerre qui nous est racontée. C’est un roman qui constate et interroge : « Comment croire, comment prier, comment espérer en ce monde pervers, en ce monde exterminateur, qui consume ses propres entrailles, qui se déchire et se décime sans répit ? » (p.20) Et malgré tout, l’espoir demeure, infaillible : « Je nous vois, au bout de tous nos chemins, nous tenant encore par la main… » (p.37)
Un roman d’une force et d’une émotion rares qu’il serait dommage de laisser de côté.
L’œuvre en quelques mots…
« Marie ne bouge presque plus. Marie respire à peine.
Pour lui parler, il faut utiliser peu de mots : des mots simples, des mots essentiels, qui vont du cœur au cœur. Des mots qui se glissent, petit à petit, avec leurs consonnes, leurs voyelles, dans le corps et la pensée de Marie. Des mots qui deviendront la matière de ce corps, le ferment de cette pensée, des mots à lent parcours qui traverseront le conduit auditif, atteindront la caisse du tympan, percuteront les osselets, ensuite le rocher ; des mots qui se frayeront lentement passage dans le labyrinthe de l’oreille. Des mots aimés, des mots aimants, ressentis, agrippés à l’espérance. Des mots vrais, même s’ils mentent. Des mots forgés d’amour et de promesse, même s’ils simulent. Des mots réels et fictifs. Des mots pour vivre et pour rêver. » (p.94)