Delphine Minoui, Badjens

Publié le par calypso

 

Chiraz, automne 2022. Au cœur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l’adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d’un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s’affranchir. Et si dans son surnom, Badjens, choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? De cette transformation radicale, racontée sous forme de monologue intérieur, Delphine Minoui livre un bouleversant roman d’apprentissage où les mots claquent pour tisser un nouveau langage, à la fois tendre et irrévérencieux, à l’image de cette nouvelle génération en pleine ébullition.

 

Zahra a 16 ans et elle n’aurait pas dû naître. Ou plutôt, elle aurait dû naître garçon. Cela aurait plu à son père, à ses oncles mais également à son grand-père qui avait milité lors de l’échographie pour un avortement, pratique pourtant contraire à l’islam... C’est dire l’horreur de l’annonce : une fille ! L’avortement étant trop coûteux, il avait fallu renoncer. Zahra a donc eu le droit de vivre. Mais qu’est-ce que vivre quand on est une jeune fille en Iran ? Surnommée Badjens par sa mère (« Bad-jens : mot à mot, mauvais genre. »), Zahra observe et déplore, avec toute la perspicacité et la fougue que lui offre sa jeunesse, les obstacles nombreux, les limites imposées et l’oppression quotidienne, mais aussi les luttes parfois silencieuses, parfois plus ostensiblement affichées qui peu à peu l’entourent. À son tour, elle va se rebeller contre un système patriarcal et les diktats d’un régime qu’elle exècre, pour sa liberté et celles de toutes les femmes iraniennes.  

Roman résolument moderne et dynamique, Badjens est intéressant pour son personnage principal, Zahra, qui est le symbole de toute une génération, la porte-parole des Iraniennes qui ne veulent plus se taire et obéir aveuglément à ce qui leur est imposé. Dans sa lutte, elle reçoit le soutien de sa mère, qui est également un personnage fort du roman : ses idées progressistes aident incontestablement Zahra à devenir une adolescente affirmée. L’ensemble est un monologue intérieur, ce sont donc les pensées de Zahra qui virevoltent sur les pages, le ton est parfois posé, parfois enragé, c’est un cri du cœur émaillé de phrases chocs. Cette oralité permanente est justifiée mais elle entraîne peut-être aussi quelques faiblesses sur le plan stylistique. En outre, j’ai parfois eu l’impression de rester en surface, j’aurais aimé en apprendre plus que ce que je savais déjà. Si Badjens n’est pas véritablement un roman original, on pourra au moins féliciter Delphine Minoui d'avoir écrit un roman accessible au plus grand nombre.

 

 

L’œuvre en quelques mots…

 

« C’est mon père qui avait insisté pour l’échographie. Il voulait s’économiser le papier peint bleu sur le mur de ma future chambre et le joli berceau en osier en cas d’« erreur », comme il m’a longtemps appelée. » (p.16)

 

« À y repenser, mon fœtus avait dû enregistrer ces conversations.

Passé le neuvième mois de grossesse, ma mère ne ressentit pas le moindre signe de contractions.

Son col ne s’ouvrait pas.

Son utérus ne bronchait pas.

J’étais bien dans ce ventre. Je ne voulais pas de cet exil.

Naître, c’était mourir.

Mourir dans le regard des hommes. » (p.17-18)

 

« Je porte le désespoir comme je porte le foulard.

Plus je grandis et plus l'angoisse m'envahit.

Je me sens obligée de me justifier pour tout.

Comme si j'avais péché.

Comme si j'étais coupable.

En fait, oui, je suis coupable.

D'être une femme.

D'avoir des cheveux.

De rire.

De parler.

De penser.

De chanter

De danser.

De vouloir vivre.

Moi qui n'aurais pas dû naître. » (p.67-68)

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article