Kim Thúy, Em
La vérité de cette histoire est morcelée, incomplète, inachevée dans le temps et dans l’espace. Elle passe par les colons implantés en Indochine pour y exploiter les terres et les forêts. Par les hévéas transplantés et incisés afin de produire l’indispensable caoutchouc. Par le sang et les larmes versés par les coolies qui saignaient les troncs. Par la guerre appelée «du Vietnam» par les uns et «américaine» par les autres. Par les enfants métis arrachés à Saigon par un aigle volant avant d’être adoptés sur un autre continent. C’est une histoire d’amour qui débute entre deux êtres que tout sépare et se termine entre deux êtres que tout réunit; une histoire de solidarité aussi, qui voit des enfants abandonnés dormir dans des cartons et des salons de manucure fleurir dans le monde entier, tenus par d’anciens boat people.
Le fond est intéressant et m’a donné envie d’en apprendre davantage sur la Guerre du Vietnam et notamment sur le sort réservé aux enfants métis, nés d’un père américain et d’une mère vietnamienne, ces orphelins qu’on appelle « poussières de vie » en vietnamien. Les références historiques, nombreuses, côtoient la fiction, mais une fiction tout de même inspirée de nombreux témoignages. Kim Thúy n’a pas cherché à retranscrire la vérité, comprenant vite que c’était impossible. L’effleurer tout au plus, oui, en tout cas en offrir quelques bribes. Ces bribes, ce sont chacun des courts chapitres présents dans ce roman et centrés sur une panoplie assez complète de personnages. Certains passages sont très poétiques, d’autres très factuels. J’ai personnellement été désappointée par ce style que je n’ai pas véritablement réussi à définir et j’ai regretté de sentir parfois une certaine froideur alors même que je sais quelle force il a fallu à Kim Thúy pour écrire et dépasser l’émotion brute qui aurait pu paralyser son écriture. L’aspect décousu de l’ensemble ne m’a pas donné l’occasion de m’attacher énormément aux personnages, mais je comprends néanmoins ce que cette forme si particulière symbolise. Kim Thúy elle-même la commente à la page 136 : « J'ai cherché à tisser les fils, mais ils se sont échappés pour rester sans ancrage, impermanents et libres. Ils se réarrangent par eux-mêmes selon la vitesse du vent, selon les nouvelles qui défilent, selon les inquiétudes et les sourires de mes fils. » À l’occasion, je lirai Ru paru en 2009, qui semble avoir eu un beau succès.
Un grand merci à Babelio et aux Editions Liana Levi pour ce moment de lecture.
L’œuvre en quelques mots…
« La guerre, encore. Dans toute zone de conflit, le bien se faufile et trouve une place jusque dans les fissures du mal. La trahison complète l'héroïsme, l'amour flirte avec l'abandon. Les ennemis avancent les uns vers les autres dans un seul et même but, celui de vaincre. Dans cet exercice qui leur est commun, l'humain se révélera à la fois fort, fou, lâche, loyal, grand, grossier, innocent, ignorant, croyant, cruel, courageux... Voilà pourquoi la guerre. Encore. » (p.9)
« Les Américains parlent de « guerre du Vietnam », les Vietnamiens, de « guerre américaine ». Dans cette différence se trouve peut-être la cause de cette guerre. » (p.45)