Abdourahman A. Waberi, Pourquoi tu danses quand tu marches ?
Sur le chemin de l’école, une petite fille interroge son père : « Pourquoi tu danses quand tu marches ? ». La question est innocente et grave. Pourquoi boite-t-il ? Le père ne peut pas se dérober. Il faut réveiller les souvenirs, retourner à Djibouti, au quartier du Château d’eau. Dans ce pays de lumière et de poussière, cette jambe qui ne voulait plus tenir l’a rendu différent, unique.
Il se souvient du désert mouvant de Djibouti, de la mer Rouge, de la plage de la Siesta, des maisons en tôles d’aluminium de son quartier, de sa solitude immense et des figures qui l’ont marqué à jamais : Papa-la-Tige qui vendait des bibelots aux touristes, sa mère Zahra, tremblante, dure, silencieuse, sa grand-mère surnommée Cochise en hommage au chef indien, la bonne Ladane, dont il était amoureux, madame Annick, son institutrice venue de France. Il raconte ce moment qui a tout bouleversé et qui a fait de lui un homme qui sait le prix de la poésie, du silence, de la liberté, un homme qui danse toujours.
Dès le début du roman, nous sommes plongés dans un souvenir et conduits à Djibouti, au début des années 70. Cet espace-temps constitue, pour le narrateur, le « point de départ » vers lequel sa mémoire ne cesse de le ramener. Une mémoire imparfaite qu’il a fallu apprivoiser, des souvenirs embrumés qu’il a fallu réorganiser, afin d’y voir plus clair sur sa propre enfance, pour pouvoir la transmettre, l’offrir, à cette petite fille qui demande un jour : « Pourquoi tu danses quand tu marches ? » Les fils tortueux de la mémoire sont alors déroulés et l’enfance est racontée sous forme de petits tableaux : au cœur du souvenir, des personnages hauts en couleur, comme grand-mère Cochise, « le chef suprême de la famille », ou Madame Annick, l’institutrice admirée, le sol poussiéreux de Djibouti, les courses bruyantes dans les ruelles, des relations parfois difficiles, des quolibets, des déconvenues et une blessure qui marquera à jamais la vie du narrateur. La remémoration de cette enfance à Djibouti est, en outre, une adresse à Béa, la fille du narrateur, qui est à l’origine de la question, et l’occasion d’un véritable hymne aux mots, à la langue française et à la littérature.
Pourquoi tu danses quand tu marches ? est un roman qui est très agréable à lire même si le travail sur la mémoire implique ici un côté décousu qui pourrait gêner certains lecteurs. J’ai beaucoup aimé suivre l’enfance du narrateur et comprendre l’origine de cette démarche qui intrigue sa fille, j’ai trouvé les diverses anecdotes sur la vie à Djibouti particulièrement intéressantes, mais j’ai été moins séduite par les passages où le narrateur s’adresse plus directement à sa fille. Je ne sais pas si c’est dû au style d’écriture, au fait que le narrateur raconte sans chercher l’apitoiement de son auditrice, mais je dirais que, peut-être, il m’a manqué un peu d’émotion…
L’œuvre en quelques mots…
« Tout m’est revenu.
Je suis cet enfant qui nage entre le passé et le présent. Il me suffit de fermer les yeux pour que tout me revienne. Je me souviens de l’odeur de la terre mouillée après la première pluie, de la poussière dansant dans les rais de lumière. Et je me souviens de la première fois où je suis tombé malade. Je devais avoir six ans. La fièvre m’a fouetté toute une semaine. Chaleur, sueur et frissons. Frissons, chaleur et sueur. Mes premiers tourments datent de cette période. » (p.11)