Eric Lange, Il ne nous reste que la violence
La violence est en nous.
On la subit ou on l'ignore.
Mais on peut aussi danser avec elle.
Alors on reste debout.
Après mon premier crime, j'avais commencé à voir notre société différemment. Où que je regarde, le miroir se déformait. Des esclaves fabriquaient nos ordinateurs, des enfants cousaient nos vêtements, les profits des guerres assuraient la rentabilité de notre livret A. Nos bagues de fiançailles brillaient de diamants sanglants, mon voisin perdait son travail, sa vie, pour un actionnaire anonyme. Un vieillard était mort, seul dans une chambre, juste au-dessus de chez moi...
On s'offusquait un peu, mais pas tant que ça, parfois pas du tout. On vaquait à nos petites affaires, nos vies allant tranquillement sur ces champs de cadavres.
Et on ne la cachait pas, cette violence. Elle était notre environnement naturel. On l'enseignait à nos enfants.
Dont acte.
Je pouvais tuer une deuxième fois.
Il ne nous reste que la violence est un roman noir, un genre que je n’ai pas vraiment l’habitude de lire mais dont je connais quand même bien les codes. Ici, pas de doute, la violence est amplement présente et le personnage porte un regard désabusé sur la société de son temps. Mais est-ce une réussite pour autant ?
Pour faire court, le personnage principal, qui est aussi le narrateur de ce roman, est un homme ordinaire. Animateur de radio, il connaît quelques difficultés avec son émission. Celle-ci offre une vision de la société qui ne plaît pas forcément : les gens appellent pour parler d’adultère ou réclamer une hausse salariale, n’hésitant pas à l’antenne à menacer de mettre le feu à leur usine. Ces débordements qui n’inquiétaient jusque là que très vaguement notre héros deviennent problématiques quand une restructuration due à l’arrivée d’un nouvel actionnaire est annoncée. Ajoutez à cela le coût assez important de l’émission, et vous comprenez que notre héros se retrouve dans une situation inquiétante. Il en est sûr, son avenir est menacé. C’est alors que sa route va recroiser celle de Félix, un trentenaire qu’il avait côtoyé dans les Balkans, lors de la dernière année de la guerre, en 1995. Le malaise suscité par cette rencontre est assez rapidement oublié quand Félix lui propose l’impensable…
J’ai eu tout d’abord beaucoup de mal à m’identifier au personnage principal. Non que je m’identifie systématiquement au héros des romans que je lis, mais j’ai tout de même besoin d’en savoir plus que ce que ce roman m’a offert. Je me demande si cela ne vient pas du fait que le roman est court et recentré sur trois ou quatre événements clés. Par ailleurs, c’est un roman qui met en avant l’individualisme et la violence comme seules armes. D’accord, c’est annoncé dès le départ, mais quand même. Surtout, ce qui m’a gênée, c’est l’impression forte que le roman a été construit à partir de sa fin, comme si tout le reste était secondaire et qu’il fallait absolument arriver à cette chute.
Je termine en remerciant Babelio et les Editions de La Martinière pour cette lecture qui n’a pas été désagréable du tout mais qui ne correspond pas vraiment à ce que j’aime lire.
L’œuvre en quelques mots…
« Etre responsable de la mort de quelqu’un ne m’effrayait pas. C’était l’ordre naturel des choses Nous étions les fourmis d’une longue colonne en mouvement. Que j’en écrase une, ou que je sois moi-même écrasé, ne bouleverserait pas la vie de la communauté. Ou alors pas bien longtemps. Voilà ce que j’avais compris.
Et je me sentais plus fort.
Je m’étais élevé au niveau des maîtres du monde : les dirigeants des Etats, ceux des entreprises transnationales, les religieux, les chefs des armées et des institutions mondiales, les banquiers, les milliardaires, les mafieux, les terroristes, les mercenaires, les soldats, les traders de Wall Street et de la City… tous ceux qui vivaient au-dessus des hommes et des lois.
Tous ceux qui tuaient froidement, déterminés, en nous regardant dans les yeux et alors on n’osait rien faire.
J’étais libre. » (p.97)